LES MOISSONNEURS (13,7) (Etienne Kallos, AFS/GRE, 2018, 104min) :
Les Moissonneurs cultive le trouble, au chœur d'une famille d'Afrikaners (communauté blanche) protestante fermière vivant isolée dans l'État libre de l'Afrique du Sud, lorsque la mère décide d'adopter dans le foyer un orphelin des rues et réclame à son fils de le considérer comme son frère.
Pour son premier long métrage Etienne Kallos (réalisateur Sud-Africain d'origine grecque), dévoile une étrange tragédie Antique contemporaine à travers une auscultation retorse d'une cellule familiale fermière conservatrice, qui cultive la terre avec foi et loue le Seigneur avec ferveur, de l'aube au crépuscule...D'entrée, la caméra suit Janno, un jeune homme dont la voie semble aussi bien tracée qu'un sillon dans un champ de mais, s'occuper du troupeau, récolter des œufs, multiplier les tâches sous les yeux critique d'un père sévère, qui aspire trouver en sa progéniture un successeur pour veiller sur ces terres d'appartenance ancestrale. L'auteur diffuse d'emblée un sentiment mystérieux par le biais de sa mise en scène maîtrisée qui sème l'étrangeté, aussi bien par l'utilisation d'une lumière crépusculaire à l'extérieur et dorée à l'intérieur (ou un halo "divin" à travers les carreaux vient éclairer régulièrement les peaux diaphanes), que par ses choix de cadres précis qui soulignent constamment l'isolement géographique et l'enfermement psychologique (cadre dans le cadre, barreaux aux fenêtres...) dans lequel vit cette famille traditionnelle, renfermée sur elle-même.
Malgré un réalisation parfois trop démonstrative, sous influence photographique malickienne du pictural Les moissons du ciel (1978) et d'esprit bergmanien quand aux multiples thématiques (le poids de la religion, la famille, le questionnement sexuel, la mort), elle illustre néanmoins habilement l'étrange impression de peur irriguée tout au long du récit. La peur est fertile au sein de cette communauté où les meurtres de fermiers afrikaners sont fréquents. La peur empoisonne la psyché du jeune Janno qui voit d'un mauvais œil l'arrivée du junkie Pieter dont ses démons intérieurs provoquent aussi bien l'écœurement que la fascination ce qui entraîne une délicat relation fraternelle complexe où jalousie, haine, passion et rejet se mélangent de manière pas très chrétienne. Cet oppressant affrontement au milieu des prières, du labeur et d'atypiques sorties nocturnes sert de colonne vertébrale à cette intrigue menaçante où les non-dits, les chuchotements et les cris ajoutent de l'engrais à cette terreur qui se joue sur fond de post-colonialisme dans l'ombre de l'Apartheid.
Cette délicate chronique abrupte au charme austère, permet à travers les récits d'apprentissage de deux adolescents à la mélancolie jumelle, de plonger au sein d'une communauté patriarcale d'Afrique du Sud peu représentée au cinéma, et de découvrir également un auteur prometteur. Deux bonnes raisons pour aller récolter en salles du plaisir pluriel par le biais de cette épopée psychologique incandescente avec ce singulier Les Moissonneurs. Biblique. Inquiétant. Intime. Ténébreux.