Paul Lavond, un ancien banquier richissime de Paris trahi par trois de ses collègues vénaux et enfermé depuis dix-sept années, s'échappe une nuit de son bagne de l'île du Diable, en compagnie d'un scientifique pour le moins particulier, afin d'assouvir sa vengeance. Si sa liberté rimera avec la mort des trois félons, celle de son compagnon d'évasion est censée donner à l'Homme la clef de sa survie sur Terre : en rétrécissant de six fois leur taille, et donc de six fois leur appétit, Marcel entend bien curer l'humanité de sa faim, et donc la planète de son insatiabilité. Malheureusement la technique n'est pas encore au point et, bien que les modèles réduits d'Homo sapiens fonctionnent formidablement bien sur le plan moteur, il reste de nombreux détails à peaufiner pour en faire de parfaites répliques pensantes et autonomes : pour l'instant leur pas son guidés par la seule volonté du scientifique. Visionnaire? Répugnant? Pure folie d'un esprit pas moins dérangé? Paul a un avis plus que tranché sur la question, cela lui donne la nausée. Pour autant ces esclaves miniatures présentent de nombreuses possibilités et garanties de discrétion pour quiconque entreprendrait d'éliminer ses ennemis dans l'anonymat le plus sûr. Aussi quand le docteur Frankenstein passe la burette à gauche, s'enquiert-il de sa menue engeance pour accomplir sa vengeance. Épaulé par Malita, la récente veuve handicapée du scientifique, et grimé comme une grand-mère serviable et confectionneuse de poupées, le voilà de retour dans la capitale française pour achever sa vindicte. La mort et la rédemption l'attendent au bout du chemin...

Film d'épouvante, d'horreur? Film fantastique? Comédie? Drame? The Devil-Doll est tout ça à la fois, comme l'était déjà le cultissime Freaks du même réalisateur sorti quelques années auparavant. Cette pluripotence faisait de Browning un cinéaste atypique doublé d'un poète noir dans sa fin de carrière. Fort de dizaines de long-métrages dans le muet, lorgnant autant sur la comédie et le drame que sur l'épouvante, c'est tout naturellement que ces derniers films (celui-ci est son avant dernier) jouissaient de ce melting-pot de genre. Pour autant on pourra trouver The Devil-Doll plus lisse, plus gentil, plus consensuel et moins macabre et poétique que ces précédents films. La volonté de brasser une nouvelle fois les genres et d'embrasser une dernière fois la radicalité de son poème noir de 1932 était pourtant bien là. Si la censure n'avait pas désavoué, sous le motif d'une violence inouïe, son projet de justice vengeresse sur fond de sorcellerie africaine, de sacrifices humains et de mythes vaudous, sans doute le Septième Art aurait serti à sa couronne d'or une nouvelle gemme noire.

The Devil-Doll n'en demeure pas moins un excellent film "browningien" réunissant la quintessence de son cinéma. A ce titre, l'entrée en action des poupées humaines sournoisement offertes à ses victimes par la citoyen déchu, sont d'une véracité sidérante pour l'époque. L'impression des acteurs en mouvement sur la pellicule de fond rend trop bien pour ne pas esquisser quelques rictus d'angoisse mêlés d'admiration. Bon nombre de cinéastes actuels n'arriveraient pas à un résultat aussi saisissant et confondant de réalisme malgré des moyens infiniment supérieurs. Le trucage est l'affaire des artistes plus que des ordinateurs. Devant l'objectif, un autre artiste donne la pleine mesure de son talent dans le rôle d'un banquier bafoué par ses collègues et d'un père en quête de rédemption envers sa fille : dans robes superposées et fripées et sous la perruque décolorée d'une vieille dame affable, le génial Lionel Barrymore fait des étincelles. L'hyper-expressivité de ses mimiques et l'acuité de son regard pénétrant en fond un homme inquiétant dont il était difficile d'appréhender les motivations.
blig
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le 26 déc. 2014

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