Dans le registre de l'invasion et de la menace animal, l'important est souvent de bien choisir la menace en question. Il y-a bien sûr les grosse bêtes dangereuses et féroces qui suscitent la défiance au naturel comme les ours, les loups, les requins ou les lions, les animaux qui peuvent être potentiellement dangereux comme les singes, les chiens les serpents ou même les chats et enfin toutes les sales petites bestioles qui provoquent dégoût et répulsion comme les vers, les rats, les cafards, les fourmis, les Zemmour et Cie. En 1972 ils sont pas moins de trois, Don Holliday, Gene R Kearney et Russel Braddon à se dire que ce ne serait peut être pas con de faire un film avec des lapins tueurs... Pourtant sur l'échelle de la menace animal les potes de Bugs Bunny se situent tout de même entre l'écureuil et le hamster nain. C'est ensuite au réalisateur William F. Claxton que va revenir la lourde tâche de rendre l'improbable menace effrayante dans le cadre d'un film tout de même produit par la prestigieuse MGM.
Les Rongeurs de l'Apocalypse ou The Night of the Lepus nous raconte l'histoire d'un fermier texan qui lutte contre la prolifération de lapins sur ses terres. Sur les conseil d'un ami et pour éviter de niquer toute la biodiversité du coin avec du poison il contacte un scientifique qui va tenter une expérience afin de stopper la libido et la reproduction des rongeurs en modifiant leur ADN. L'expérience tourne mal et un lapin échappé du laboratoire va contaminer les autres pour en faire des bêtes géantes et assoiffés de sang.
Les Rongeurs de l'Apocalypse se trimballe une douce réputation de nanar intersidérale ce qu'il n'est pas tout à fait à me yeux. Certes le film comporte quelques scènes assez gratinées et rigolotes mais dans l'ensemble le pauvre William F. Claxton donne vraiment la sensation de faire tout ce qu'il peut pour rendre crédible l'une des plus improbable menace animale de l'histoire du cinéma. Tout le script et l'intrigue du film est d'un sérieux et d'un aplomb quasi solennel ce qui va fatalement créer un savoureux décalage entre l'incongruité des événements et le premier degrés des dialogues comme lorsqu'un militaire demande aux spectateurs d'un drive in de venir les aider à contrer une invasion de lapins tueurs et que tous obéissent sans lever un sourcil de circonspection. Quand à l'argumentaire scientifique nous expliquant pourquoi nos gentils lapinous sont devenus des grosses bestioles sanguinaires, il faudra se contenter d'un lapi(n)daire : "bah on a du modifier un truc dans leur ADN". Pour tenter de nous faire croire que quelques braves lapins sont devenus une meute de bêtes géantes et carnivores William F Claxton va utiliser toute une panoplie d'effets finalement plutôt réussis (Enfin tout est relatif). Le réalisateur film souvent les lapins dans des décors miniatures et en contre plongée pour augmenter la sensation de grandeur, il multiplie les gros plans sur le regard torve des lapins ou leurs dents menaçantes, il utilise aussi des ralentis pour densifier l'aspect massif et imposant des lapins qui semblent extrêmement patauds, il accompagne le tout de bruitage lourds et d'une musique inquiétante et ça le fait presque. Car le problème c'est que même avec tout ces subterfuges, même en collant du ketchup sur les tronches des lagomorphes (La communauté scientifique m'interdit de parler de rongeurs) et bien un lapin ça reste un lapin et pour faire peur avec un lapin il faut quand même se réveiller de bonne heure.
Lors de certaines attaques on bascule pour le coup vraiment dans le nanar comme lorsque les lapins tendent une embuscade à des chevaux ou qu'ils s'attaquent à un troupeau de vache filmé cette fois ci légèrement en accéléré pour multiplier la sensation de panique. Mais le plus drôle reste tout de même les types en costume de lapins qui sautent à la gorge des acteurs … Le film tout en restant assez soft sur l'horreur graphique est relativement sanglant avec notamment un premier cadavre rongé et mis en pièce recouvert d'un magnifique sang rouge vermillon du plus bel effet. Au casting du film on retrouve tout de même du beau monde avec pour commencer Janet Leigh (Psychose) qui pour l'anecdote refusera que sa fille Jamie Lee Curtis joue dans le film en jugeant qu'elle méritait mieux qu'un film d'horreur pour se faire connaître. A ses côtés on retrouve Stuart Whitman (Ruby – Les Doigts du Diable – Le Jour le Plus Long), DeForest Kelly (McCoy dans Star Trek) et Rory Calhoum grande figure du western des années 60 ; tout ce petit monde jouant avec le plus grand sérieux une histoire de lapins géants. Et si son concept même est hautement ridicule, je trouves que le film ne l'est pas tant que ça proposant une petite série B parfois hasardeuse (transparence et faux raccords) mais visuellement pas du tout honteuse. Contrairement à tous ces réalisateurs de films de requins numériques dégueulasses qui font sciemment de la merde parce que le public s'en contente, William F. Claxton aura au moins eu le mérite d'essayer de nous effrayer avec la plus mignonne des menaces. Des lapins que ne vont pas porter chance au réalisateur puisqu'il se tournera ensuite définitivement vers la télévision pour laquelle il réalisera, avec ou sans lapins, 22 épisodes de The Fisher Familiy (une série religieuse catho) et 68 épisodes de La Petite Maison dans la prairie, ce qui avouons le est bien moins fun que cinq minutes prises au hasard de ce Rongeurs de l'Apocalypse.
Les Rongeurs de l'Apocalypse ou Night of The Lepus n'est certainement pas un film que l'on regarde au premier degré accroché aux accoudoirs de son fauteuil, mais le réalisateur semble avoir mis tellement de cœur à nous faire croire à cette menace improbable qu'il mérite mon plus grand respect. Plutôt sympathique sans être totalement mauvais, donc à peine un véritable nanar pour moi.