Il y a trois plongées dans Les Seigneurs de la mer. La première plongée est contemplative, elle immerge le spectateur dans des paysages marins et océaniques magnifiques où les requins cohabitent avec les autres espèces et se nourrissent, conformément à leur place haute dans la chaîne alimentaire qui fait d’eux les dieux de ce monde aquatique. La deuxième plongée est militante, elle confronte le spectateur à une réalité assez peu médiatisée, à grand renfort de témoignages et de séquences prises sur le vif ; une plongée en horreur, dans la barbarie humaine, loin des clichés attenants à la représentation traditionnelle des requins comme monstres sanguinaires. La troisième plongée est autocentrée, elle relate l’amour qu’éprouve, depuis tout petit, le réalisateur Rob Stewart pour les requins ; une plongée qui s’apparente à un culte de la personnalité avec moult ralentis, plans excessivement esthétisées et mises en scène ridicules. On ne saurait reprocher à un documentaire engagé d’être démonstratif ; toutefois, lorsque la démonstration prend l’allure d’un règlement de comptes à coups de corail, problème. Le réalisateur confond prise de conscience et prise d’otage, nous spectateurs sommes ses captifs, et les nombres panneaux de textes sur écran noir agressent l’œil, témoignant d’un manque de confiance dans les images et les séquences rapportées. Le paradoxe qui sous-tend l’entièreté du long métrage réside dans sa volonté de faire choir de son statut de surhomme tout en brossant le portrait d’un dieu-protecteur, le réalisateur lui-même.
Les Seigneurs de la mer reste néanmoins un réquisitoire sans concession sur la folie humaine, cette folie qui pousse l’homme à se mesurer aux dieux à ailerons sans comprendre que sa lutte ridicule a des conséquences sur la survie de la biodiversité ainsi que sur la survie de notre espèce. « On se prend pour des dieux, alors qu’on n’est qu’une bande de primates déchaînés ». Un documentaire imparfait mais important.