Entre Les Égarés (2003) et Les Témoins (2007), Téchiné organise les retrouvailles de Deneuve (sa collaboratrice fétiche) et Depardieu avec Les Temps qui changent, tourné au Maroc. C'est la cinquième fois que la star et le monstre sont réunis (la première était pour Le Dernier métro – Truffaut 1980 ; la prochaine sera pour la comédie Potiche de Ozon), pour filer un amour entravé comme d'habitude. Téchiné lui-même retrouve Angélique Kidjo pour la musique, déjà recrutée pour Ma saison préférée (1993).
Depardieu arrive en Antoine à Tanger pour un chantier ; il y retrouve Deneuve en Cécile, l'amour de sa vie consommé à de l'adolescence. Aujourd'hui il est au bord de l'enfouissement, se pousse même vers le précipice pour aider la résurrection, en étant 'achevé' pour Céline. Selon ses calculs, elle sera lassée et déconfite, mûre pour revenir à lui et apprécier l'évidence de leur couple. Les temps qui changent ont raison de nous, la passion est inébranlable mais discrète, les êtres tendent à s'user et arrivent au moment où il faut tenir son équilibre moyen mais acquis, ou retrouver une vocation qui a perdu son éclat et n'a plus rien à promettre : et savoir que c'est parfait ainsi. Le résultat à l'écran est indolent, le romanesque s'ancre et se dilue dans les affaires courantes, le récit est agrémenté par de multiples intrigues secondaires pleines de relations creuses et de démarches dérisoire ou non-concluantes (avec le tandem de jeunes homos typique de chez Téchiné : métissé et l'esprit léger). Ce n'est plus l'art mais les sentiments de basse intensité, une construction hagarde et l'armature téléfilmique qui viennent soulager des souffrances, du doute et de la vérité.
Deneuve et son personnage heurtent par leur virulence, Cécile alourdissant les retrouvailles par son attitude passive-agressive et en minimisant constamment, pour se convaincre elle-même (elle réprime violemment la menace, malgré l'aigreur générée par son lien à Natan et une foule de détails de son existence). Depardieu est positivement 'cassé', avec son rôle radicalement à contre-emploi : un homme 'fin' et sensible, businessman posé et introverti, déterminé au point de dominer son évidente fragilité. Passionnant lorsqu'il se confie ou 's'autorise', il fait vibrer le film, touchant en amoureux : notamment lorsque Gérard 'récite' car Antoine a tout médité depuis trente an. L'affadissement de Big Gégé par Téchiné sur Barocco (un de ses premiers longs, avant la grande mutation – du palais des glaces vers les bouillonnements 'incarnés') est donc réparé. Sans lui c'est la torpeur généralisée, avec comme seuls stimulants la visite de Tanger et l'irruption d'une scène cryptique, avec Sami de nuit face aux chiens. Manifestement forgé dans l'intimité, peut-être déterminé par des rencontres ou expériences, cet opus est un des moins bons de Téchiné. Des effets numériques (hideux) et ralentis sont incrustés sans raison claire, manifestement pour souligner l'égarement et l'écrasement ressentis par les vieux protagonistes (en premier lieu Antoine) face à des innovations sourdes à leurs cas.
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