Dans la ville mythique par excellence qu’est New York, les années 70 occupent vraiment une place singulière. Par le grain de la pellicule, une authenticité encore présente dans des rues crasseuses et grouillantes, ces voitures démesurées qui racontent encore l’illusion finissante des trente glorieuses, le décor est un personnage à part entière, qui irrigue les films de Scorsese, Lumet ou ici Pollack. Une ode ambivalente, aussi, à la grandeur d’un pays dont on est enfin prêt à égratigner la puissance, en allant fouiller dans ses arrières cours ou derrière ses façades trop rutilantes.
Les trois jours du Condor appartient ainsi à cette mouvance du milieu des 70’s qui s’attaquent au pouvoir de l’ombre et aux méthodes plus que douteuses des Etats-Unis pour s’assurer leur position de leader mondial. A cause d’un assassinat et Les hommes du président de Pakula, Conversation Secrète de Coppola participent ainsi à un regard paranoïaque et glaçant sur un fonctionnement liberticide et criminel d’un pays qui s’affirme comme la première démocratie de la planète.
Redford se retrouve ainsi mêlé à un complot pour lequel la solution est radicale : l’effacement pur et simple par la liquidation de toute son équipe. Le récit vise donc à une enquête mettant au jour à la fois la violence du système, la corruption qui y règne et le secret confortable qui l’entoure.
Le traitement est habile : sec, souvent dénué de musique, la méfiance et la solitude du traqué sont rendues avec un sens aigu et précis, la dilatation du temps (la séquence de l’ascenseur, par exemple) participant de cette immersion dans un monde silencieux et létal.
Cette atmosphère étouffante ne perdure cependant pas sur tout le récit, qui occasionne quelques trous d’air assez embarrassants, notamment cette nuit d’amour chez Dunaway, qui, en plus d’être forcée pour remplir un quota attendu, est d’un kitch assez douteux. De la même manière, la façon dont cet analyste lecteur de bouquin se révèle un castagneur et un technicien d’espionnage hors pair laisse un peu rêveur.
Ces concessions faites à un traitement plus commercial appauvrissent la portée d’un film pourtant assez ambitieux dans les thématiques qu’il aborde, avant de revenir sur la fin à un traitement plus acerbe. La désactivation des enjeux romantiques, la conversation avec un tueur qui explique sereinement son idéal de ne servir aucune cause, l’autre avec un membre de la CIA justifiant les moyens par la fin, tout concourt à braquer les projecteurs sur une civilisation construite dans la compromission et ayant définitivement considéré l’humanisme comme une faiblesse. Ce final suspendu, audacieux, achève la démonstration de cette ambivalence qui pourrait faire du héros un être définitivement seul et ignoré de ceux qu’il aura servis.
(6.5/10)