Les Vieux chats par Patrick Braganti
Les névroses et les conflits familiaux sont partout les mêmes. De Moscou il y a quelques semaines (Elena) à Santiago aujourd'hui au Chili avec Les Vieux chats, le nouveau film de Sebastián Silva et de Pedro Peirano. Si le traitement y est moins tragique, le constat accablant revient donc au même : le pouvoir pris par des enfants calculateurs sur des vieux parents soumis, en apparence, dépouillés de leurs biens et leur argent. Elena donnait de son plein gré de l'argent à son fils au chômage tandis qu'Isidora et Enrique voient d'un très mauvais œil surgir la volcanique Rosario, fille d'Isidora, armée d'intentions et d'arrière-pensées qui ne vont guère aider au rapprochement de la mère et de sa fille.
Le film présente un double intérêt. D'abord, en effet, d'éviter trop de manichéisme en mettant en scène d'une part la mère vertueuse et d'autre part la fille rapace et dépourvue de la moindre affection. On s'apercevra rapidement que l'amour, ou d'ailleurs l'absence d'amour, voire la sensation indémontrable de son absence, se trouve au cœur de l'opposition virulente et entretenue depuis longtemps entre Isidora et Rosario. Le second atout des Vieux chats réside en la capacité des deux réalisateurs à créer au sein du petit appartement une atmosphère claustrophobe et tendue qui laisse présager le pire, surtout lorsqu'Isidora, à la mémoire chancelante et aux décrochages répétés, quitte le huitième étage de son domicile. Dès lors, transformé en course-poursuite dans le grand parc municipal, le film perd beaucoup de sa force et de la férocité qu'il manifestait dans l'affrontement verbal et physique dressant l'une contre l'autre la mère, sèche et autoritaire, et la fille, maladroite dans sa quête d'amour, ne parvenant au final qu'à aggraver son cas. Lequel, il est vrai, s'annonce dès le départ chargé : les deux cinéastes en ont fait une lesbienne consommatrice de poudre sans doute trop caricaturale pour la rendre vraiment sympathique. C'est donc le personnage de la vieille dame prenant cruellement conscience de sa santé déclinante, ce qui ne manque pas de renforcer son caractère acariâtre et dirigiste, qui retient davantage notre attention. Il est campé par Belgica Castro, une grande actrice de théâtre, qui réussit avec sobriété et conviction à jouer ces moments d'égarement et d'absence qui lui font poser un regard fixe et lointain sur ce qui l'entoure et qu'elle ne semble plus reconnaitre.
Au-delà des conflits entre générations, le film se révèle en creux une subtile parabole sur le temps qui s'écoule, la vieillesse qui limite les allées et venues et finit ainsi par emprisonner et isoler. Un bilan qui est établi mine de rien et pourtant agit et émeut plus que les hurlements hystériques de l'épuisante et au fond inoffensive Rosario. Il n'en reste pas moins que le présent opus est moins fort et plus convenu que l'intrigant, dérangeant et radical essai précédent, La Nana sorti en 2009.