L’étoffe des héroïnes
Le cinéaste tchadien Mahamat-Saleh Haroun est l’un des rares représentants de son pays, voire de son continent à alimenter de sa production les festivals. Après Daratt primé à Venise en 2006, Lingui,...
le 15 déc. 2021
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Le cinéaste tchadien Mahamat-Saleh Haroun est l’un des rares représentants de son pays, voire de son continent à alimenter de sa production les festivals. Après Daratt primé à Venise en 2006, Lingui, les liens sacrés est sa troisième sélection en compétition à Cannes. Si la thématique des pères absents reste une constante encore abordée dans ce nouveau film, celui-ci se renouvelle en abordant un récit strictement féminin, qui voit une mère élevant seule sa fille de 15 ans devoir gérer la répétition de ses propres erreurs, celle-ci se retrouvant enceinte.
La chronique permet, par une distribution bien gérée des rôles secondaires, de dresser un tableau social et religieux de N’djaména : son patriarcat par le voisin insistant pour épouser la mère, l’imam revenant régulièrement à l’assaut pour compter les deux femmes parmi ses fidèles, ou l’arrivée de la sœur qui viendra consolider la solidarité féminine. Le récit, assez convenu, explore le dilemme entre la tradition et les aspirations à une liberté proposée ici par la possibilité de l’avortement non seulement interdit par la religion, mais illégal. La répétition des motifs (deux filles mères potentielles), la linéarité du récit et le mécanisme de certains dialogues pourront desservir la légitimité du propos. De la même façon, la somme de toutes les souffrances concentrées en un seul récit (grossesse non désirée, viol, mariage forcé, mise au ban familiale, excision…) n’est pas très judicieuse et vire un peu à la dissertation.
Le réalisateur compense néanmoins ces lourdeurs d’écriture par une grande attention apportée à l’image, qui joue avec l’étroitesse des espaces dans lequel évoluent des protagonistes à la marge de manœuvre réduite. Les seuils, très présents dans les cadres, ouvrent sur des étoffes, des couleurs, des voiles qui permettent, outre une véritable beauté dans les intérieurs et des éclats de couleurs remarquables, la possibilité d’une certaine porosité des cloisons. Alors que les plans d’ensemble de la ville font état d’une sorte de décharge à ciel ouvert, ou d’un terrain de fuite dangereuse (la course sur la route au milieu des voitures, ou la tentative de noyade parmi les arbres immergés), les intérieurs sont progressivement conquis par les personnages, jusqu’à cet étroit passage où la mère fera usage de la violence pour y percer sa propre trajectoire. La cérémonie assez ironique pour le rite initiatique de la nièce voit ainsi sa réponse par le retour au lycée de la jeune adolescente, dans un cadre qui pourra la voir maîtriser son destin. À l’effort douloureux des débuts (la déstructuration du pneu pour en retirer le fil de fer) succède une ouverture vers une possible libération, et la victoire de femmes ayant osé braver le rigide état des lieux.
(6.5/10)
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le 15 déc. 2021
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