Il était blanc et il était indien. Il était grand et petit. Un honnête homme et un escroc vendeur de potions miracles. Un bigot évangéliste et un homme à femmes. Un petit entrepreneur ne rêvant que de vie tranquille et un aventurier des contrées sauvages. Un as de la gâchette et un homme n'utilisant jamais ce talent pour tuer. Kid Limonade et un alcoolique. Un être n'aspirant qu'à la paix et assoiffé de vengeance. Un engagé volontaire dans l'armée de Custer et son pire ennemi. Un ermite et quelqu'un vivant pour la reconnaissance des autres. Un pacifiste et un guerrier.
C'est peut être avant tout le personnage de Jack Crabb fabuleusement incarné par Dustin Hoffman (qui a longtemps été mon acteur préféré rien que pour ce rôle) que j'adore dans Little BIg Man, ce fabuleux "être humain" (comme s'appellent les indiens) ne cessant de se contredire, ou plutôt le déroulement de sa vie, comme une succession de périodes bien distinctes s'opposant les unes aux autres, mais chacune conduisant logiquement à une autre, faisant de la recherche de son identité le cœur de la quête de l'humain.
Et bien entendu le fait que chacune égratigne tel ou tel mythe de l'ouest américain, ne réduisant pas le sujet du film à l'ethnocide indien mais s'attaquant au passage avec jubilation à tout ce que le cinéma aura préféré retenir de la période pour mieux l'oublier. La période "roi du révolver" en particulier, qui enterre en 5 minutes des décennies de westerns à leur gloire. Le rêve américain des colons-entrepreneurs qui se fait étriller entre escrocs et massacreurs de bisons. La religiosité bigote des bons pionniers. La représentation de la femme de l'ouest, toujours saintes ou de mauvaise vie (sauf qu'ici c'est la même). La célébration du bon temps des saloons et des bordels. Celle de vengeances personnelles érigées au rang de justice. De héros s'aventurant en territoire indien pour libérer leurs blanches prisonnières. De l'héroïsme des tuniques bleues protégeant tout ce monde. Il n'y a pas un ingrédient du western classique qui ne passe pas à la moulinette de cette joyeuse déconstruction du genre.
Une des grandes questions du film étant celle de la mémoire que l'on choisit de garder. La scène d'ouverture étant particulièrement parlante à ce niveau, où un journaliste de l'époque contemporaine interviewe le centenaire Jack Crabb, lui dit qu'il est plus intéressé par des anecdotes sur le mode de vie à l'époque que par Little Big Horn (semblant à priori craindre d'être devant un partisan de Custer), puis après avoir évoqué le génocide amérindien lui dit avec un sourire "mais je n'espère pas qu'un chasseur de peaux rouges comme vous partage mon point de vue" (moment où Crabb l'interrompt et commence son récit), montrant toute la mollesse de la condamnation morale contemporaine de ces massacres par rapport à l'envie d'anecdotes folkloriques de la période (un parallèle que ne peut empêcher de faire l'emploi du mot génocide, étant un journaliste qui irait interviewer un ancien nazi, lui demanderait des anecdotes sur la vie dans les années 40 plutôt que de parler de la guerre, puis qualifierait la shoah de point de vue pour mettre à l'aise le questionné).
Évidement on peut aussi voir dans le choix de cette scène du journaliste, une allusion d'Arthur Penn à ceux traitant d'une autre guerre, qui étaient à l'époque de la réalisation du film en train de construire la mémoire du Vietnam, et qui tout en condamnant à l'occasion les destructions de villages et massacres au napalm, allaient plutôt chercher des anecdotes sur la vie quotidienne de l'appelé américain que s'appesantir trop sur "ces histoires". Une question de points de vue, là encore (dont tout le film traitera par l'alternance de périodes où Crabb adopte un point de vue de blanc ou d'indien).
Enfin je pourrais encore en écrire des pages (même pas vraiment abordé la partie amérindienne du film, très intéressante aussi), comme tout grand film, Little BIg Man a un sujet apparent, qui semble se limiter à une période, mais en fait en traite bien d'autres et est d'une actualité éternelle. Et c'est sans doute celui auquel j'ai le moins hésité à accorder un 10/10 tant aucune de ses scènes, si ...anecdotiques que certaines paraissent, ne m'apparait gratuite.