«Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme.» Une encre de sang rédige le début de ce récit sulfureux, le clôture. Il goutte sur les touches d'un piano jouant seul, dessine une bulle mortifère sur les lèvres d'un sadique défunt, colle l'épingle à cheveux d'un monstre tragique. Ce liquide rougeâtre empli les yeux autrefois pleins de tendresse d'un protagoniste longtemps controversé. Mes mots d'ici sont de tout coeur adressés au grand romancier que fut Nabokov. Ils le sont aussi pour un certain Stanley Kubrick, réalisateur de l'adaptation mère et surtout pour l'inattendu Adrian Lyne. Le premier de ces deux cinéastes s'était concentré sur l'aspect dialoguiste et intellectuel de l'oeuvre manuscrite. Il délivrait un film fin, personnel et très réfléchi. Cet aspect plus « spirituel » faisait office de charmant contrepoids vis à vis de la censure drastique des 60's. Le personnage d'Humbert Humbert y était antipathique en force, un lâche plus enclin à l'ennui qu'aux affres de la passion. Celui de Quilty, n'étant autre que Peter Sellers, se trouvait comédien aux multiples métamorphoses, un salaud au comique excentrique. Lyne aborde l'écrit sous un tout autre angle. Corporel, charnel et puissamment émotionnel. Bien que chavirant encore sous le poids de la censure, sa réalisation reste plus que jamais destinée à un érotisme ambiant. La saisie de Jeremy Irons dans le rôle titre n'est certainement pas à laisser de coté. Sa prestation remodèle le personnage, lui confère esprit et émotion. Les yeux emplis d'amour et de béatitude il est le bourreau transformé en victime. Une existence dédiée à une passion tant destructrice que contre nature, à un être vil et aux mœurs peut-être bien pire que les siens... Lolita. C'est dans un murmure qu'il tracera le nom de cette garce malheureuse qui ne lui renverra jamais le terrible amour qu'il lui vouait. Kubrick parlait. Lyne illustre. Première apparition aux vêtements mouillés, un pied nu quand l'autre se couvre d'une chaussette immaculée, petits gestes interdits, espoirs continus, mâchage de gomme, old-music... L'érotisme est né, facile certes, mais il est au monde. Cependant le film souffre sans conteste de nombreuses faiblesses. Ancien de la publicité, notre cinéaste a difficilement fait dans la subtilité. Insistance mielleuse (gros plans appuyés, ralentis chroniques, diabolisation lourdingue) tout autant qu'à travers la bande son arrache larme d'Ennio Morricone. Qu'importe. J'y aime les pieds enduits de gazon, les milk-shake, les chaleurs d'une Amérique laide et vide, la perfidie ambiante, j'y aime les pleurs que j'ai trouvé. Car voyez vous, Messieurs les jurés jamais un récit ne m'avais autant touché. Lolita n'est pas la narration de l'obsession perverse d'un homme d'âge mûr pour une fillette allumeuse tant crié. Il est celui de l'amorce d'un siècle à l'érotisme inspirateur. Il est une ode à l'amour, un cri rarement perçu à sa juste valeur.
Rat
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le 23 mars 2013

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Rat

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