Science, conscience, et héroïne de l’âme.

La probabilité d’apprécier un tel film semblait infime : son affiche, son sujet, sa place dans la filmographie de Miller, davantage concerné par le fun des cascades de Mad Max ou les pas de danse glaciaire des pingouins, son esthétique encore bien marquée par les années 80… Probabilité à peu près aussi faible que celle qu’affrontent les parents du jeune garçon, atteint d’une maladie orpheline dont la recherche médicale se désintéresse.


Passons sur les inévitables détours romanesques propres à tout biopic. Ils posent néanmoins problème, puisqu’on nous expose une histoire vraie : les conclusions du récit laissent entendre que le remède a été trouvé, et que tous les enfants qui le prennent se portent au mieux. La réalité scientifique est beaucoup plus mesurée, et on ne sait pas, aujourd’hui, si la survie hors norme de Lorenzo (qui s’est éteint à 30 ans, en 2008, alors qu’on lui avait donné deux ans d’espérance de vie) est due à cette thérapie ou aux soins exceptionnels prodigués par ses parents.


Si le film est si réussi, c’est d’abord dans sa clarté : il faut, sur un tel sujet, se montrer pédagogique tout en évitant le didactisme, et les recherches poussées du père sont non seulement compréhensibles, mais finissent par en devenir palpitantes, parce qu’elles entraînent des réactions en chaine sur tous les domaines. Face à lui, la figure de la mère prend en compte la dimension humaine de la situation : acharnée à considérer son fils comme un individu, jusqu’à la radicalité face à ceux qui lui opposent un pragmatisme plus dur, elle représente le versant humaniste, voire spirituel. Si ce duo fonctionne, c’est parce que le cinéaste n’angélise pas pour autant les protagonistes. La question de l’acharnement thérapeutique, des risques, de la passion contre la raison scientifique irrigue chaque prise de décision.


Lorenzo’s oil est de ce point de vue un gigantesque puzzle moral : sur une trame résolument pathétique, qui ne nous épargne aucune des souffrances de l’enfant (les scènes de crises ou de suffocation sont vraiment éprouvantes pour tout spectateur, qui plus est si ce dernier est lui-même parent), la tragédie s’impose dans un premier temps – accentuée par un fréquent recours aux plongées - : celle d’une maladie qui fait régresser inéluctablement, jusqu’à la mort. Le nombre impressionnant de médecins et d’infirmières qui défilent, le témoignage d’autres parents permet une mise en perspective salutaire : certes, le spectateur est rivé au point de vue des parents de Lorenzo, mais on lui permet aussi de comprendre les arguments de ceux qui sont en désaccord avec eux. Si certaines questions sont moins dignes que d’autres (l’industrie pharmaceutique, le financement de la recherche médicale, la course à l’innovation à condition qu’un marché réel soit à la clé…), c’est dans les débats éthiques que le récit prend toute son ampleur. D’abord, dans la façon de soigner, que la mère (Susan Sarandon, incandescente) envisage avec une approche qui déstabilise la neutralité affichée des infirmières, à qui elle demande de parler à son fils, et non de le considérer uniquement comme un patient. En découle l’épineuse question du degré de conscience de l’enfant : le traitement trouvé permet seulement de stopper la progression, et non de guérir un être déjà coupé du monde : nombreux sont ceux qui souhaitent le voir partir plus rapidement pour abréger ses souffrances comme celles de son entourage, et le spectateur est bien mal placé pour leur en faire le reproche.


Certes, nous savons à quoi nous en tenir : si récit il y a, c’est pour donner raison à la ténacité incroyable des parents, et nourrir cette idée que ceux qui ne se découragent pas peuvent vaincre la fatalité. Mais cette leçon éculée est ici temporisée par des questions qui restent entières, notamment sur la rigueur du protocole scientifique, le nécessaire détachement du médecin face aux questions passionnelles ou encore les limites du sacrifice de l’entourage face à la maladie.
Complexe, éprouvant, d’une empathie aussi intense qu’intelligente, Lorenzo a le mérite de ne pas se limiter à une hagiographie : il confronte des individus au pire, et établit avec une grande lucidité les questions essentielles qui en découlent : si l’héroïsme n’est pas à la portée de tous, le questionnement moral, lui, est vivifiant pour chacun d’entre nous.

Sergent_Pepper
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le 19 nov. 2016

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