J'aurai plus ou moins 45 ans. Usé par cette vie circulaire, au loin, j'entamerai lentement quelque chose de flou, que l'on pourrait appeler une dépression. Il manquera la surprise, l'emballement d'il y a 20 ans. Monotone et terne, j'accepterai à contre cœur un voyage d'affaire sur une île crépusculaire. De sa nuit irradiera un scintillement de néon cérulescent vacillant, un halo incandescent et ouaté. Un instrument de bois égrènera quelques notes creuses et je ne parviendrai sûrement pas à trouver le sommeil.

Comme une seconde peau, la mélancolie souveraine voilera mon visage de traits et de lignes soucieuses, la nuit, les minutes s'égrèneront accoudé à un bar d'hôtel, single malt et havane sur tabouret. Je ne l'appellerai pas, sans doute. Le mur entre eux et moi de plus en plus dense et mes insomnies de plus en plus éprouvantes.
Je penserai à repartir, las du néant et de l'abîme entre cette île et moi. Puis, d'un sourire esquissé dans une capsule de verre et d'aluminium, elle me donnera envie de rester. Pourquoi? Pour plus de veillées, d'alcools et d'errances nocturnes. Doucement quelques rides viendront plisser ce lac lisse, uni, imperturbable. Deux, perdus mais deux. Ni de l'amour, ni de l'amitié, un tropisme dans cet aquarium futuriste. Circonscrit à ce lieu, à ces quelques jours, ma voix rauque et émue rencontrera la sienne, celle ronde et enrouée, jeune, qui attisera le spleen agréable de ces quelques instants.

Dès lors le retour sur les rails semblera compromis, l'envie s'échappant depuis des années renaîtra sur cette île, qui deviendra comme un écrin pour nous deux, pour nous deux seulement. L'incompréhension de ce monde futuriste sera ce qui nous liera. Contemplation et écho brumeux, la neige des pétales blancs sera notre jour, les diodes synthétiques, les roucoulements analogiques enfumés, notre nuit.

L'impossibilité et la frustration sourdra de ce lien pudique et gêné, une muraille de tabous et de peurs que plusieurs fois je croirai avoir franchie, pouvoir franchir, sans finalement oser. Le jour du départ inévitable approchera, ils m'attendront déjà, là-bas et je ne verrai pas de conclusion autre à cette histoire. Après une simulation d'adieux creuse et déchirante, je me laisserai guider vers un taxi, pour voler hors de cette île, hors de ce brouillard onirique.

Le taxi s'arrêtera quelques secondes, assez pour que je l'aperçoive, de dos, au milieu d'une foule colorée mais terne, embuée. Je la rattraperai sans trop savoir pourquoi, ni quoi faire, une main sur l'épaule et je la saisirai, fermement, la retenant entre mes bras. Elle pleurera, me serrera à son tour et je lui murmurerai quelques mots. Je lui chuchoterai peut-être de continuer à faire ce qu'elle aime, que finalement la vie, ce n'est pas que cette déception égale et insipide. J'ajouterai peut-être que je regrette, et qu'il ne peut en être autrement. Ou bien je lui dirai que ce départ ne sera qu'éphémère, qu'elle devra me faire confiance. Je l'embrasserai, la première fois, et reculerai, doucement, pour me perdre dans la foule.

Panneaux clignotants, néons fragiles, et mégaphone publicitaire. Le reste est à écrire, vite, très vite, j'ai hâte de m'ennuyer.
thelightcarrier
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le 16 août 2011

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