Le générique implante l'ambiance qui sera suivie tout au long du film, un mélange de nostalgie, d'enfance rêvée, et d'angoisse quasi-surnaturelle.
Le lieu d'abord, qui compte tellement qu'il est sûrement le personnage principal du film. Une ville en ruines, une rue qui se désagrège, des maisons qui partent en lambeaux, tout un décor insalubre et délabré. On sent d'emblée comme si une maladie au stade terminal rongeait l'espace.
une ville condamnée. La première action à laquelle on assiste, c'est le départ d'un de ses derniers résidents. Toute vie s'en va. Comme dans un monde post-apocalyptique, il semble ne rester en ville qu'un vague résidu d'humanité, une population condamnée et contaminée par le milieu.
Les noms des personnages sont assez significatifs de cette humanité perdue. On a une jeune fille qui s'appelle Rat, et un garçon surnommé Bones, comme s'il n'était déjà que des os. Un animal et un squelette. L'humanité va mal.
Et toute cette population décrépite tente de survivre, plombée par la nostalgie d'un passé sûrement glorieux, comme cette grand-mère, maquillée comme une princesse, qui regarde en boucle une vidéo de mariage.
On sent comme un parfum de paradis perdu, d'Adam et Eve après avoir été chassé du jardin d'Eden. Des personnages morts coincés dans une sorte de Purgatoire où le temps semble s'être arrêté, comme cette voiture qui ne fonctionne pas. Des cadavres qui refusent de disparaître complètement.
Ce décor, c'est ce qu'il y a de meilleur dans le film. C'est la grande réussite de cette Lost River : cette ambiance surnaturelle post-apocalyptique. De quel type d'apocalypse s'agit-il ? On a très peu d'informations à ce sujet. On devine qu'un barrage a été construit, engloutissant sous le réservoir un parc d'attraction et une partie de la ville.
La similitude avec certaines villes étatsuniennes actuelles est assez évidente. Ville sinistrée comme Detroit, ville inondée comme la New Orleans de Katrina, c'est tout un portrait d'une Amérique morbide, détruisant sa propre population, qui se dresse devant nous. Même subtil, je reste convaincu qu'il y a un aspect politique dans ce film.
Il faut voir Billy tenter de négocier son crédit trop facilement obtenu par des banquiers sans scrupules (rappel des subprimes ?). Il faut la voir, obligée de se prostituer (ou presque). Et si cette Lost River était perdue parce que l'état l'avait abandonnée ?
Car il faut être clair que ce monde, comme tout enfer qui se respecte, est peuplé de démons. La porte d'entrée du night club est assez significative.
un homme sans lèvres, un spectacle où l'hémoglobine coule à flots, nous sommes dans un monde qui fait peur.
Le film est d'ailleurs marqué par le mouvement du haut vers le bas, comme s'il s'enfonçait dans les profondeurs infernales. La caméra, sans cesse, descend du ciel vers la terre. Les personnages eux-mêmes sont toujours dans un mouvement descendant, tombant dans des trous du sol ou dans des ascenseurs. Nous sommes dans un monde privé de ciel, privé de transcendance, privé d'espoir.
Dans ce monde, Bones tente de survivre. Comment ? En arrachant du cuivre dans des maisons abandonnées, et en le revendant. Il nous apparait d'emblée comme une sorte de profanateur de sépulture au milieu de ce cimetière urbain.
Je le répète : ce monde, cet univers et l'ambiance qui en découle, c'est la grande réussite du film. Cela nous donne un début vraiment intéressant. Mais il aurait fallu pouvoir l'exploiter. Et c'est là que le film tombe, lui aussi.
En regardant Lost River, j'ai souvent pensé à David Lynch. Le club glauque, des tentatives pour imposer une ambiance onirique, plusieurs marques semblent nous rapprocher du grand cinéaste. Ryan Gosling réalisateur a de l'ambition, c'est tout à son honneur. Mais il n'a pas encore les moyens de ses ambitions. L'image, volontairement crasseuse, n'est pas maîtrisée. Certains plans sont très laids (la caméra accrochée à la pelleteuse qui détruit les maisons, par exemple). D'autres sont d'une naïveté rare et un peu idiote.
Et puis, même si le film est court (94 minutes), il fallait le combler, ce temps-là. Et Gosling n'arrive visiblement pas à la faire. Lost River souffre d'un ventre mou assez mortel quand on est spectateur. Le film est vite prisonnier de répétitions : le club glauque, les maisons qui brûlent, l'errance de Bones, on n'a pas l'impression d'avancer. On n'a pas l'impression d'avoir une narration, ni un fil conducteur qui nous ferait progresser.
En conclusion, voilà un film qui présente des aspects fort intéressants mais qui n'est pas abouti. pas assez pour être classé parmi les meilleurs films de l'année, mais suffisamment quand même pour permettre d'affirmer que Ryan Gosling est un réalisateur à suivre (de fait, c'est plus une note d'encouragement).