Tout le monde connait le nom de Louise Michel et sait - au moins - qu'elle fut une vaillante combattante de la Commune... mais à part cela, si l'on creusait un peu, on s'apercevrait que finalement Louise Michel est la plus célèbre des inconnues de l'histoire de France.
On pouvait alors envisager le film de Sólveig Anspach comme une salutaire séance de rattrapage pédagogique et l'accueillir, au moins pour ça, à bras ouverts.
Mais les profs d'histoire qui espéraient le "Petit Louise Michel illustré pour les nuls" en seront pour leurs frais car la réalisatrice a la double intelligence d'éviter d'une part la biographie - puisque le film ne s'attache qu'aux sept années de déportation en Nouvelle-Calédonie - et, d'autre part, de n'avoir aucune velléité pédagogique et/ou historique qui en ferait un aimable prélude à débat façon "Dossiers de l'écran" ou - encore moins - un cours d'histoire pré-mâché.
On ne saura en effet que bien peu de choses de ses combats en France, du pourquoi et du comment de son procès et de sa condamnation et des fondements de La Commune.
L'ambition semble bien plus être de faire le portrait d'une femme autant héroïque qu'horripilante, parfois, d'aussi admirable qu'extrêmiste et de ce point de vue le film est une vraie (et inattendue...) réussite. Louise Michel y apparait tantôt simplement humaine avec tout ce que cela suppose de faiblesses et de défauts, et parfois quasi-surhumaine,jusqu'à frôler l'hystérie des martyrs.
Et pourtant, le début pouvait laisser craindre le pire...
En effet, le pré-générique, montrant de manière affreusement théâtrale la plaidoirie de Louise Michel, lors de son procès, déclamée par une Sylvie Testud vraiment très mauvaise, face caméra, s'adressant les yeux dans les yeux au spectateur relève des pires procédés de mise en scène et laisse d'emblée penser que l'on s'apprête à se farcir la purge attendue et une hagiographie des plus écœurantes...
Solveig Anspach n'aura de cesse de nous donner tort tout au long du film.
D'abord parce que Sylvie Testud, hormis cette première scène ratée est véritablement merveilleuse dans ce beau rôle et qu'elle donne au film une fraicheur perpétuelle et un souffle inattendu.
Mais surtout parce qu'Anspach évite bien des écueils du biopic, à commencer par la sacralisation de son personnage principal.
En effet, si Louise Michel est évidemment une femme exceptionnelle et une pionnière dans bien des domaines, elle sait aussi se montrer parfois d'un angélisme agaçant et même d'un excès de charité franchement insupportable, y compris pour ses plus grands admirateurs dans le film et que - par dessus le marché - elle semble souvent flirter avec une idée très chrétienne du martyr totalement antinomique, à priori, avec son combat communiste et anarchiste.
Le film déploie de ce point de vue une belle intelligence et prends le risque de flirter avec la sacralisation de son personnage sans jamais s'y soumettre... Une gageure et encore une vraie réussite. On échappe à Mère Thérésa ! Hourra !
Solveig Anspach serait-elle aussi une rebelle ?
Et puis il y a l'étrangeté de la mise en scène...
Tantôt extrêmement statique, presque picturale sans être contemplative d'autre chose que des visages, et plus rarement (mais sublimement) des paysages. Tantôt filant comme une flèche suivant les allers et venues de son héroïne dans cette nature austère autant que luxuriante. On n'a que très rarement (au démarrage, surtout) l'impression d'un téléfilm et certains plans sont même tout à fait magnifiques.
Solveig Anspach ne cache pas que son intérêt pour Louise Michel vient de l'avant-gardisme de ses combats et de ses idéaux féministes, écologistes avant l'heure et humanistes qui ferait d'elle aujourd'hui, en effet, une femme d'une grande modernité. Mais les déploiements du récit au sein des tribus canaques et, par la suite, de leur insurrection et de leur génocide, montre bien le véritable sujet qui a passionné la cinéaste: celui de l'exploitation et de la domination de l'homme par l'homme, de la dictature des civilisations occidentales et de la mise à mort programmée et exécutée des peuples, de la lutte des classes, encore d'actualité et de la barbarie.
Le film convoque sans faiblir les questions de la colonisation, de l'Algérie, du pillage des ressources naturelles, des asservissement culturels, de la destruction de l'environnement, de la place des femmes dans les sociétés... et si le film n'evite pas toujours de ce point de vue certaines lourdeurs, il fait en revanche preuve de beaucoup d'ambition, ce qui reste son principal défaut, car, à vouloir trop en dire... on finit parfois par ne plus y entendre grand chose... un bémol, donc...
Mais les scènes avec le peuple kanak sont toutes magnifiques sans jamais verser dans le mauvais coup du "bon sauvage".
Louise Michel serait un peu l'anti-Robinson Crusoé et l'atrocité raciste qui nous est notamment jetée à la face lors d'une courte mais marquante scène ou l'on transporte la tête d'Ataï, chef de l'insurection canaque, dans un bocal de formol en vue d'une exposition au musée de l'homme glace les sangs et donne alors au film des résonances fortes, autant dans l'histoire de l'humanité et dans toutes les atrocités commises au fil des siècles que dans une redoutable actualité des guerres du pétrole, des délocalisation des entreprises, du retours des fascismes dans le monde, de l'exploitation scandaleuse du Sud par le Nord, de la destruction de l'environnement, des déviances et extrémismes religieux, etc...
Et le constat est amer...
Pauvre Louise, rien n'aura donc changé et tout va continuer...