Dans une période où les films sur la ségrégation et la discrimination entre noirs et blancs pleuvent dans le cinéma hollywoodien actuel, Jeff Nichols tente à son tour de s’aventurer dans le combat déculpabilisant que mène le cinéma américain. Et dans ce dessein, Jeff Nichols essaye d’y apporter son style : il s’avère que Loving est l’antithèse d’un Birth of a Nation (par exemple) : l’époque dans laquelle se situe les récits est différente, certes, mais d’un point de vue cinématographique, Jeff Nichols étudie son sujet non avec opportunisme mais avec délicatesse et une très grande humilité. Assurément, Loving n’échappe pas à certains gimmicks de ce genre de pellicules à l’image de la musique et son utilisation trop appuyée dans les moments dits « d’émotion ».


Sauf que le discours de ce dernier dévie de son aspect militant pour, au final, se préoccuper plus de l’intime que du contexte dans lequel il se trouve. Prenant les traits d’une histoire vraie, Loving décide de se concentrer sur un couple mixte dans les années 50 qui se marie dans l’Etat de Columbia, alors qu’ils habitent dans l’Etat de Virginie où cela est interdit. S’ensuit alors un combat de plusieurs années pour enfin obtenir gain de cause devant les tribunaux.


Dans ce portrait d’un couple qui n’a qu’une seule ambition : être considéré comme les autres, ce qui intéresse Nichols, n’est pas tant le cheminement juridique ou social qui va permettre au couple de gagner devant le juge mais c’est surtout la romance et les conséquences sur ce couple et comment celui-ci va surmonter les épreuves du temps et la lassitude du combat. Dans ce cas, les dernières séquences résument à elles seules Loving : la séquence du procès et celle de la conférence d’après victoire devant le juge.


Au lieu de montrer les verbiages juridiques, Nichols nous dévoile le repas de famille où l’on voit ses membres les uns avec les autres, dans le confort et la sécurité de l’enclos familial, en attendant le verdict. Tout comme lors de la conférence de victoire, au lieu de placarder un discours dénonciateur et rageur, Nichols affiche un couple en larmes, bras dessus bras dessous et les yeux dans les yeux devant un parterre de journalistes.


Le destin de Loving se loge ici : dans le regard d’un couple, deux amoureux, humbles tant socialement qu’humainement qui main dans la main vont à la fois se battre et se résigner à vivre comme ils l’entendent. L’humilité du propos des personnages qui ne peuvent se passer l’un de l’autre se dessine également dans la mise en scène de Jeff Nichols, tout en pudeur qui s’écarte du dolorisme d’un Steeve McQueen pour s’approprier son naturalisme habituel qui épouse à merveille les facettes de son couple qui s’écharpe entre calme olympien et turpitudes paranoïaques à la Clint Eastwood.


Mais de cette empathie grandissante, qui s’incorpore dans de nombreuses scènes, comme cette très belle demande en mariage, nait aussi un sentiment tout autre dans lequel s’enlise parfois le film : celui d’un académisme un peu feutré. Car Jeff Nichols semble brasser beaucoup de thématiques avec Loving mais a du mal à aiguiser toutes les cordes de son arc, que cela soit sur le racisme ou cet ellipse narrative de plusieurs années qui amenuise la difficulté subie par le couple durant ses quelques années de galère et qui diminue le regard que l’on a sur leur volonté de continuer à crier leurs droits. Surtout que l’on connait la finalité du métrage.


Alors on se pose une question : qu’est-ce que Jeff Nichols a à nous proposer de plus que les autres ? Et bien un film de Jeff Nichols : l’économie des mots est présente, faille du rêve cauchemardesque, la mise en valeur de l’enclos familial et de la culpabilité paternelle enfouie dans un mutisme chevrotant, l’amour maternelle et féminin qui malgré les troubles ne déchante jamais, cette nature qui est égale et possible pour tous, cette Amérique de petites contrées qui s’amusent de courses de voitures ou de regroupement entre amis autour de musique et d’une bonne bière.


Et donc derrière un sujet casse gueule comme celui-ci, à défaut de révolutionner ou d’apporter un point de vue oblique, Jeff Nichols agrippe son matériel de base pour apporter son réel regard d’auteur. Et même si l’on se trouve loin de la qualité d’un Take Shelter ou d’un Mud, Loving ne dépareille pas dans la filmographie de son cinéaste, qui nous offre avec ce dernier, un joli moment de douceur, notamment à travers les yeux de la très juste et très belle Ruth Negga, véritable étoile du film.

Velvetman
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le 2 févr. 2017

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