Chassé-croisé amoureux sous le ciel de Provence et différences de classes...

Chassé-croisé amoureux en Provence, l'été... Cinq personnages: Michèle, la touriste (Madeleine Robinson), Patrice, le châtelain (Paul Bernard), Christiane, dite Cri-Cri, la propriétaire de l'hôtel (Madeleine Renaud), Roland, l'artiste (Pierre Brasseur) et Julien, l'ingénieur du barrage (Georges Marchal-ici débutant)...Trois unité de lieux: l'hôtel, le château et le chantier du barrage...Deux voir trois classes sociales différentes observées en arrière-plan...
Jean Grémillon fait un travail remarquable de cinéaste sur ce film, comme dans son précédent "Remorques" (1941): superbes cadrages et prises de vues donnant une coloration poétique à un sujet qui l'est moins que son prétexte, beau travail sur la lumière en noir et blanc du chef opérateur Louis Page pour l'époque -lors du tournage et de la sortie, nous sommes en pleine occupation allemande-, montage intelligent et belle musique de Roland Manuel aux accents provençale lors de la scène du bal... Formellement ce film est une réussite esthétique à replacer dans son époque de tournage. Je n'ose imaginer, ce qu'aurait fait Grémillon, aujourd'hui, avec la couleur!!!
Question scénario (Jacques Prévert et Pierre Laroche qui avait écrit "Les Visiteurs du soir" l'année d'avant): l'idée du chassé-croisé amoureux semble bien mince et anecdotique pour l'ambition du réalisateur et des scénaristes à nous montrer les différences de classes sociales et leur impossibilité à cohabiter, le mépris de l'une sur l'autre ou la tentative de l'une ou l'autre de dominer ou manipuler l'autre, mais c'est surtout les personnages qui portent cette ambition au travers de leur psychologie très fouillée.
Madeleine Robinson -Michèle- est le personnage central, autour duquel s'articule tout le film et se noue à la fois la tragédie et l'espoir de la fin du film (avec l'histoire d'amour naissante avec Julien/Georges Marchal). Avec ce film, elle devient (avec Douce d'Autant-Lara) l'actrice reconnue et au grand talent que nous connaissons. Cependant, plus en retrait que les autres acteurs dans sa façon de jouer, elle n'émeut pas et nous ne croyons pas à l'amour qu'elle porte à Roland puis à Julien, tout comme elle ne réussit pas à nous faire ressentir sa méfiance puis son dégoût de Patrice. Je la préfère dans d'autres rôles. Donc premier bémol dans ce très beau film.
Paul Bernard, Madeleine Renaud et Pierre Brasseur ont vraiment du génie, tous d'une façon différente: Paul Bernard montre toute la palette de son talent dans son personnage d'aristocrate manipulateur aux abords de la folie pour un amour non réciproque conduisant à la tragédie, Madeleine Renaud (fidèle de Grémillon) étonne encore une fois en propriétaire d'hôtel séduisante de prime abord mais rongée et aveuglée par la jalousie qu'elle éprouve pour Michèle: Cri-Cri reste un de ses musts...
Puis Pierre Brasseur, cabotin de génie, dans un personnage qui n'était fait que pour lui, en artiste maudit, alcoolique et fauché, mais étonnamment lucide sur ce petit jeu qu'il se joue et sur le petit jeu que se joue Cri-Cri et Patrice: voir a scène du bal masqué, où Roland son personnage, déguisé en Hamlet, lance à Patrice-Paul Bernard "Il y a quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark" ...
Cette référence à Hamlet, montre l'ambition des scénaristes et du réalisateur, à décrire la décadence des milieux aristocrates et bourgeois, incarnés par Paul Bernard et Madeleine Renaud. Où encore son affrontement avec Madeleine Renaud, folle de jalousie, où saoul, il tente de faire comprendre que Michèle vaut bien mieux par son honnêteté, que lui, elle et Patrice...
Pour finir, deuxième bémol, l'inutilité du ton humoristique des scènes avec Marcel Lévesque/Le vieux monsieur Louis et Jane Marken/Madame Martinet qui ne sont que reliée artificiellement à l'intrigue principale, ralentissant considérablement le dénouement de l'intrigue... Raté aussi dans ce que Grémillon, Prévert et Laroche veulent dénoncer au travers de leur personnages -dont ils veulent se moquer- une vieille France rance et poussiéreuse, à mille lieux de l'espoir qu'incarne pour le futur Michèle et Julien, l'ouvrier-ingénieur du barrage...
Un grand film mais pas tout à fait un chef d’œuvre pour les deux bémols... Toutefois, il convient tout de même de reconnaître que d'analyser et faire passer la lutte des classes au travers d'un banal chassé croisé amoureux est un remarquable tour de force...

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