Au gré du courant
Luzzu, le premier long-métrage du maltais Alex Camilleri, évite soigneusement les effets de carte postale. Sans qu'on puisse le qualifier de néoréaliste, son approche mélange avec une belle maîtrise...
le 27 juin 2021
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Luzzu est le premier long métrage d’Alex Camilleri, un réalisateur originaire de l’île de Malte mais vivant aux États-Unis. Porté par des acteurs amateurs, son film s’ancre dans l’univers des pêcheurs maltais confrontés à la crise de leur activité. Un an après sa sortie en salle, Epicentre Films sort en DVD ce beau portrait d’homme, doublé d’une critique sociale à la Ken Loach. A découvrir.
Des bateaux et des pêcheurs
Avec ses couleurs vives et ses yeux peints sur la proue, le luzzu est un petit bateau de pêche emblématique de l’île de Malte. Des générations de pêcheurs l’ont apprécié pour sa polyvalence avant qu’il ne soit supplanté au fil des années par des navires plus productifs. Véritables curiosités touristiques, rares sont les luzzus qui servent encore à ramener du poisson. D’autant que l’Union Européenne encourage à coups de subventions les derniers pêcheurs traditionnels à se reconvertir. Une modernisation à marche forcée vécue douloureusement par les locaux. C’est ce sujet que le réalisateur, lui même d’origine maltaise, a voulu aborder. Il s’est installé durant plusieurs mois dans le port de Marsaxlokk pour écrire son scénario et établir son casting parmi des vrais marins trouvés sur place.
Un beau portrait
Jesmark, la trentaine, est l’un de ces pêcheurs qui perpétuent la tradition. Sauf que le poisson n’est plus au rendez-vous. Et les quelques dorades qu’il rapporte ne font pas le poids face à la concurrence. Un métier de fierté, de passion, avec tous ces gestes hérités de ses aïeux, mais une vie difficile. Lorsque sa femme et lui apprennent que leur bébé a besoin de soins coûteux, Jesmark en vient à douter. Pourquoi s’évertuer à respecter les quotas imposés par l’Europe alors que la pêche au noir lui tend les bras ? Pourquoi continuer à faire vivre la tradition alors qu’une simple signature au bas d’un formulaire lui rapporterait les 7000 euros promis à tout pêcheur reconverti ? Un personnage torturé magnifiquement incarné par Jesmark Scicluna, lui-même marin pêcheur dans la vraie. Il n’a pas volé son prix spécial d’interprétation obtenu au Festival de Sundance. Une révélation.
Réalisme documentaire et social
Comme il s’en explique dans l’entretien qu’il accorde (voir bonus), Alex Camilleri s’est inspiré du cinéma néo-réaliste italien pour écrire son film. Luzzu ressemble ainsi par bien des aspects à un film documentaire. De nombreux plans s’attardent sur les gestes précis des pêcheurs : démêlage de filets, calfatage de bateau ou écaillage du poisson. Mais le film est aussi et avant tout une critique sociale à l’anglaise. A l’instar du Daniel Blake de Ken Loach, Jesmark se retrouve hors-jeu. Sans véritable alternative. Entre une réglementation européenne qui le pousse vers la sortie et une concurrence déloyale portée par la corruption, Jesmark se doit de renoncer à ce qui fait son identité la plus intime, son luzzu. Les scènes dans lesquelles il songe à s’y résoudre sont parmi les plus poignantes de ce très beau film.
8/10 <3
Critique publiée sur le MagduCiné
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le 22 avr. 2022
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