Une comédie qui obtient la Palme d’Or à Cannes, c’est suffisamment rare pour être signalé. D’autant plus que ce M.A.S.H. est franchement drôle, voire même hilarant, et qu’il a conservé sa puissance comique encore de nos jours.


La Corée et le Vietnam


M.A.S.H. se déroule pendant la guerre de Corée, mais en 1970, lorsque l’on montre l’armée américaine engagée dans un conflit en Extrême-Orient, c’est évidemment au Vietnam que tout le monde pense. Ce qui donne un aspect à la fois drôle et tragique à la citation qu’Altman place au début de son film, une citation du Général MacArthur, qui dirigea les troupes américaines lors du conflit coréen. Le commandant en chef assure que ses soldats font des merveilles dans la péninsule, laissant sous-entendre que la victoire est à portée de main. Impossible, pour un Américain de 1970, de voir cela sans penser aux messages exactement identiques proférés par l’administration Nixon, alors qu’il est déjà évident que la guerre du Vietnam traumatise toute une génération.
Alors, dans cette situation, comment faire une comédie qui se déroule pendant la guerre de Corée ?
A la différence de ce qui s’est produit en France, où l’on a fait des comédies (à succès) sur la Seconde Guerre Mondiale (La Grande Vadrouille, La 7ème Compagnie), M.A.S.H. ne rit pas de la guerre elle-même ; il aurait été indécent de faire de l’humour alors que de jeunes Américains se font blesser, amputer ou tuer. L’humour ne vient pas du conflit et des situations du conflit : il provient exclusivement des personnages.
La guerre, elle, n’est pas montrée directement. Le film se déroule dans un hôpital militaire, à quelques kilomètres du front. Jamais le spectateur ne voit les combats. Mais cependant le conflit est bel et bien présent dans le film, à travers ses conséquences humaines. Les scènes « chirurgicales » sont d’un réalisme terrifiant. Nous voyons ces jeunes hommes blessés, ensanglantés, les membres coupés, les conditions rudimentaires de pratique de la médecine, la pression qui oblige à agir constamment dans l’urgence…
Ainsi, Altman ne cherche aucunement à masquer l’horreur de la guerre. Bien au contraire, en jouant sur des effets de contrastes, il met en valeur le coût humain que représente ce conflit.


Des hippies à l’armée


Mais cela n’empêche donc pas M.A.S.H. d’être extrêmement drôle, de la première à la dernière scène. Un humour qui provient donc des personnages, en tête desquels le trio de chirurgiens vedettes, Hawkeye Pierce (Donald Sutherland), John McIntyre (Elliott Gould) et Duke Forrest (Tom Skerritt). Irrévérencieux, irrespectueux de la hiérarchie, très attirés par le sexe, ils dynamitent littéralement l’ordre militaire. Leur objectif : tirer le plus de profit de la situation pour s’amuser. Pour cela, ils n’hésitent pas à convertir un jeune Coréen en barman, ils draguent ouvertement tout membre de la gent féminine, ils transforment la piste d’atterrissage des hélicoptères en practice de golf, etc. Par leur attitude aussi bien que par leur tenue, ils font penser à des hippies cherchant à dynamiter de l’intérieur l’ordre établi.
Et il semblerait que l’armée présente dans ce film n’attendait que leur venue pour se lâcher complètement. Ainsi, le colonel, que l’on retrouve vite en train de boire, au lit, en charmante compagnie (autre que sa femme) et qui, le reste du temps, est principalement occupé à préparer ses mouches pour la pêche. Mieux : lorsque McIntyre frappe cet idiot de Burns, comme sanction, il le nomme… supérieur de Burns !
Finalement, les trois protagonistes ne font que mener la danse d’une désagrégation de l’armée, mais les personnages secondaires ne sont pas en reste. Dès la scène d’ouverture, l’armée apparaît comme totalement désorganisée, on peut voler du matériel militaire (une Jeep, en l’occurrence) sans le moindre problème, les ordres donnés par l’officier supérieur sont inaudibles parce que tout le monde s’exprime en même temps…


De l’armée comme représentante de l’Amérique


Et si ce joyeux bordel n’était pas que militaire ?
Et si le 4077ème M.A.S.H., au-delà de lui-même, représentait l’Amérique de 1969 ?
L’affaire du major Burns est, en cela, très significative. Burns est un dévot, mais un dévot à la Tartuffe. Il aime bien se montrer en public en train de prier pour le salut de l’âme des autres, il affirme haut et fort son dégoût des tentations charnelles, mais qui saute sans vergogne sur le major O’Houlihan, devenue célèbre sous le surnom de « Hot-Lips » (Lèvres-en-feu) ou fait porter la culpabilité de ses fautes sur un pauvre infirmier qui va craquer nerveusement. Bref, tout le symbole d’une hypocrisie puritaine. Le rôle des la bande à Hawkeye sera alors uniquement de mettre en lumière ce que Burns veut cacher.
Cette lutte contre l’hypocrisie puritaine montre assez que M.A.S.H., derrière ses allures de comédie débridée, propose toute une vision de l’Amérique, une vision qui peut paraître très datée quand on la voit depuis l’époque de Trump, mais elle en est peut-être d’autant plus nécessaire. Une vision où l’Amérique est désacralisée, où elle ne se prendrait plus au sérieux. C’est sans doute très marqué « flower power » mais le résultat est absolument jouissif.


Par un retournement génial, Altman fait un film de guerre qui constitue un extraordinaire appel à la vie et à la jouissance. M.A.S.H. multiplie les scènes cultes, depuis le micro caché chez le major Burns jusqu’à un match de foot US dantesque. Un très grand film, qui aura un succès tel qu’il deviendra une série télé.


Critique originellement parue dans LeMagDuCiné

SanFelice

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