La gloire du pianiste Liberace, qui fut, parait-il, énorme aux États-Unis, n’a jamais atteint l’Europe. Pour la majorité des spectateurs, il s’agira d’abord d’une découverte, celle d’un artiste adulé du public (essentiellement des femmes âgées), homosexuel vivant dans l’ombre à l’époque, vers les années 70, où la sortie du placard n’était guère prisée – rappelons que c’est en 1985 que Rock Hudson, ravagé par le sida, allait révéler à la presse qu’il était gay. Deux ans plus tard, Liberace meurt à son tour du même mal, tandis que son impresario tente de dissimuler la vérité aux journalistes.
Le dernier film du prolifique Steven Soderbergh – qui prétend qu’il s’agit de son dernier film, lequel, d’ailleurs, n’a pas bénéficié d’une sortie dans les salles dans son pays, et donc a été destiné aux chaines de télé – n’est pas, à proprement parler, un biopic de la star de music-hall. En fait, le film s’intéresse à l’histoire entre le musicien et Scott Thorson, un jeune homme un peu timide et fasciné par la maitrise et le talent de l’idole. Pendant cinq années, ils entretinrent une relation intime et secrète jusqu’à une séparation – ou, plutôt, l’éviction de Scott, remplacé par un plus jeune et appétissant garçon – affichée au grand jour par l’ancien amant dépité.
Ce que le film met surtout en relief, c’est la manipulation et la domination sociale de Liberace, mégalomane et égocentriste, pour attirer et prendre dans ses rets le jeune homme innocent, encore naïf, élevé par une famille d’accueil, avec un énorme besoin d’affection et de protection. Couvert de cadeaux (vêtements, bijoux et voitures de sport), Scott devient petit à petit la chose de Liberace, c’est-à-dire que ce dernier entreprend de le façonner à son image, lui imposant une chirurgie esthétique pour qu’il lui ressemble le plus possible à son âge. Dominé par l’artiste, rajeunissant grâce, lui aussi, à quelques coups de bistouri, Scott maigrit, se drogue et dépérit à vue d’œil, en perdant sa personnalité, aussi fade pouvait-elle sembler.
Ployant sous l’excès et le kitsch des paillettes, des dorures et des costumes de scène – on demeure perplexes que le public ait pu ou voulu gober que Liberace était attiré par l’autre sexe – le film abandonne peu à peu la dimension spectaculaire – on voit de fait assez peu la vedette en représentation et en show – pour devenir un mélo cruel, puis déchirant. À l’amour sincère du jeune Scott s’oppose le goût du pouvoir et de la conquête de l’homme riche et célèbre (inclinaison obsessionnelle pour la chair fraiche et le sexe, aussi) qui sait se montrer généreux et terriblement séduisant.
Ma vie avec Liberace rappelle aussi une période guère lointaine d’homophobie (mais est-elle vraiment éteinte ?), ou, tout au moins, de non-acceptation de la différence (qu’elle soit d’ailleurs sexuelle, ethnique ou religieuse) qui oblige les gays, y compris un des plus connus et idolâtrés d’entre eux, à vivre cachés et terrorisés par la crainte d’être découverts. C’est aussi un film sur le passage du temps, la dureté à vieillir, à ne plus être aimé que pour l’argent qui offre à peu près tout, mais qui, en la circonstance, pourrit la pureté et la véracité des sentiments.
Brillamment mis en scène, avec une précision des détails qui confère à l’ensemble une justesse étonnante, le film doit aussi beaucoup à ses deux comédiens qui livrent une prestation exceptionnelle. Michael Douglas joue la folle tordue sans tomber dans l’outrance et il faut notamment saluer son travail vocal. En face, Matt Damon déploie une partition plus étendue, passant de la fascination à l’amertume et à l’aigreur, souffrant les mille maux de l’abandon et du rejet, brûlé vif à force d’avoir été un jouet modelable et influençable. Au final, ils ne sont que les tristes victimes d’une société qui les ostracise et les condamne. Les candélabres finissent par ne plus éclairer qu’un théâtre des ombres et des fantômes. Déchirant.