Pariamérica
C'est curieux que j'ai eu l'occasion de voir Paria de Nicolas Kloz très récemment, tant Heaven Knows What des frères Safdie (dont j'avais entendu parler il y a longtemps sans jamais prendre...
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le 12 juin 2015
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Tout récit procède le plus souvent par immersion : il s’agit, pour le créateur, de parvenir à restituer une atmosphère, une tonalité, une vibration propre à un milieu, la dynamique née de la rencontre de personnages à l’identité bien trempée.
La singularité du film des frères Safdie réside dans cette capacité à nous plonger dans le quotidien le plus prosaïque des junkies new-yorkais. L’ambition est clairement documentaire, et l’atmosphère en question est celle de l’inconfort. Il s’agira de faire ressentir au spectateur le froid, la fébrilité du manque, l’ennui, le désespoir et les vaines utopies qu’on peut formuler sous l’emprise des paradis artificiels, dans la lignée du fondateur Panique à Needle Park.
En résulte un film abrasif, de ceux qui ne magnifient pas la toxicomanie ou la bohème des marginaux. Les mains tremblent, la caméra embarquée subit les mêmes à-coups que les personnages qui se cognent aux murs, aux autres, à leurs frustrations. Le langage, plus que tout autre, est le champ le plus exposé du désastre : on parle pour ne rien dire, pour combler le silence du maque, du froid, du désœuvrement et de l’absence de toute perspective. Un grand nombre de séquences fonctionnent ainsi comme des parpaings bruts d’une authenticité amère : on ne fait rien d’autre que passer le temps, et la conviction avec laquelle on déblatère n’a d’égale que l’inanité des propos.
Les réalisateurs font subir le même traitement à la romance : certes, les moments d’euphorie permettent quelques incursions de la poésie, un téléphone envoyé vers le ciel se transformant en gerbe de feu d’artifice ; mais les épiphanies sont de courte durée, et de fragiles contrepoints à tout ce que peut générer de plus âpre les ravages de la passion amoureuse. Théâtre de la cruauté (la séquence d’ouverture, à ce titre, avec un chantage au suicide qui finit par se retourner contre son instigatrice, est particulièrement frappante) rarement sublimé par un pathos lyrique, le couple se résume à deux victimes meurtries et dont l’union semble surtout approfondir les plaies.
Le grain vidéo, la mise en scène délibérément amateur, le jeu incandescent des comédiens (dont la prestation impressionnante de Caleb Landry Jones, qui d’Antiviral au récent Get Out a montré avec talent l’étendue de son registre), sous la tension d’une musique électro constante d’Ariel Pink servent à merveille la partition mumblecore.
Le dénouement, qui emprunte beaucoup à Macadam Cowboy dans son idéal d’une fuite en bus vers la Floride, ne fait que renforcer la démonstration : on parlait pour ne rien dire, on se sevrait avant de replonger, on prend la route pour mieux revenir au point de départ.
Et les conversations de reprendre : Mad Love in New York, ou la capacité à sonder l’intense tragédie du sur-place.
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Créée
le 20 mai 2017
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