N'ayant vu qu'un Almodóvar (La Piel que habito), je n'ai pas le recul de certains sur les mérites comparés de ce film. Mais j'ai du coup le regard du spectateur qui n'avait pas d'attentes particulières, et n'avait regardé ni la fiche technique ni le synopsis.
Au bout du premier quart d'heure, je me demande ce que le réalisateur va bien pouvoir trouver à raconter pour occuper le reste du film. Au bout d'une heure et demie, je me dis qu'il a dû nous embarquer pour 2h30 de projection tant j'ai l'impression qu'il se passe de choses. Le récit est bien mené : les péripéties sont égrenées intelligemment, le montage installe un rythme plaisant. Deux ou trois points me semblent un peu plus faibles, sans enlever son intérêt à l'ensemble cependant :
l'analepse de la rupture entre Janis et Arturo qui semble artificielle, la confession de Teresa à Janis qui me semble particulièrement soudaine et intime (mais on m'a dit que ce n'était pas surprenant dans un contexte espagnol), le raccord entre l'arc de la cohabitation/rupture entre Ana et Janis et l'arc de l'excavation de la fosse commune qui est un peu brutal...
Les actrices (et les quelques acteurs) servent très bien le film, Penelope Cruz étant particulièrement remarquable dans son rôle. Les images sont belles, et j'ai particulièrement goûté les jeux de couleur, les séances photos, l'usage de l'écoute-bébé-caméra de Janis...
(notamment quand Ana reprend Cecilia)
Almodóvar mêle les thèmes de la maternité (soit précoce, soit tardive), de l'identité, de la mémoire (familiale et nationale), et j'ai particulièrement apprécié ce récit "gynocentré" sans outrance. Le pathos, l'engagement sont suffisamment bien dosés pour qu'on ne se sente pas pris pour un benêt.
Sur les épaules de ces deux femmes Almodóvar s'est plu à coller un peu tout ce qui peut arriver dans une vie affective
la mise au monde, la passion, le viol, l'éloignement, la bisexualité, l'adultère, les conflits parents-enfants, le deuil, les dilemmes carrière/famille...
La configuration qui se noue sous nos yeux est certes improbable, mais ne choque pas en versant dans le délire. Il dessine par petites touches une famille "idéal-typique" de l'écart à la norme. C'est suffisamment bien fait pour être plaisant.
Je conteste un point seulement, qui m'a peu convaincu dès le visionnage : la résignation de Janis, la facilité qu'a Ana à lui enlever l'enfant qu'elle a élevée, quand bien même elle n'était pas de son sang.
J'imagine qu'on peut reprocher symétriquement au réalisateur de rester un peu superficiel ; qui trop embrasse mal étreint ? Mais lesdits thèmes me semblent déjà mieux traités que dans les films que j'ai pu voir à ce jour, c'est donc plutôt réussi selon mes standards.
Un film que je conseille d'aller voir (et peut-être plus particulièrement à qui, comme moi, connaîtrait mal Almodóvar ?). En VOST, si possible.