Au sein d’une forêt intemporelle, Marie-Madeleine (Elsa Wolliaston) erre, recluse, en quête d’un chemin spirituel qui la reconduira auprès de son Christ bien-aimé. Depuis la mort de Jésus, les stigmates d’un temps endeuillé se sont installés dans son cœur et dans son corps. Harassée et en haillon, elle espère une mort salvatrice. À mi-chemin entre la vie et la mort terrestres, la vieille femme parcourt une nature à la fois édénique et hostile. Dans cette cathédrale de verdure, le calvaire de Marie-Madeleine se mue en une messe sensorielle célébrant une harmonie de la résilience unissant les êtres vivants en présence. À travers le corps touché par la grâce d’Elsa Wolliaston, Damien Manivel compose, en prônant une radicalité cinématographique transcendantale, une chorégraphie de l’agonie. Figure majeure de la danse contemporaine, la danseuse ritualise, sublime et spiritualise un vocabulaire corporel prosaïque. Dans la quiétude silencieuse de la nature, le corps se fait parole et le geste se fait verbe.
Toutefois, Magdala n’est pas qu’une œuvre survivaliste austère. Damien Manivel embrasse entièrement la psyché de sa protagoniste, épousant les contours mystérieux d’une spiritualité en construction. Alors que Marie-Madeleine enlace un arbre ordinaire, se matérialisent soudainement au bout de ses lèvres les pieds ensanglantés de Jésus sur la croix. Cette première apparition marque le basculement allégorique d’un long-métrage questionnant les représentations d’une foi chrétienne originelle. Le cinéaste ressuscite une spiritualité préchrétienne dépouillée de tout diktat ecclésiastique. Marie-Madeleine forge son propre culte christique trouvant dans son rapport intime avec Jésus une passerelle émotionnelle entre les temporalités et les réalités. Avec ardeur et délicatesse, Magdala replace l’individu au centre de la notion de spiritualité offrant à sa protagoniste, via la puissance figurative du medium cinématographique, le don de sculpter l’invisible.
Chez Damien Manivel, la dévotion de Marie-Madeleine est le fruit d’une obsession sentimentale et d’un lyrisme sensuel. Dans Magdala, la frontière entre le désir spirituel et le désir charnel est poreuse. Au crépuscule de son existence, Marie-Madeleine chérit la présence lumineuse et surtout physique d’un homme qu’elle a autant adoré que désiré. Face au vide assourdissant laissé par l’absence de Jésus, elle utilise quelques mots en araméen, « mon amour », pour énoncer ce qui serait une première prière. Face à ce mutisme, le corps de Marie-Madeleine devient le territoire même du deuil. Dans ce chemin de croix littéralement tracé par les frêles croix de bois qu’elle laisse sur son passage, elle atteint de manière absolue son statut de sainte. Jusqu’à un dernier souffle octroyé telle une caresse sous le regard compatissant d’un ange, Magdala incarne la persistance d’un souffle mythologique dans une spiritualité, chrétienne ou non, dont la beauté brute loge dans la possibilité de donner son cœur aux cieux au milieu d’une tempête.