Critique / Cannes 2013 : Magic Magic (par Cineshow.fr)
Présenté à Sundance en janvier dernier, Magic Magic du cinéaste Chilien Sebastián Silva est arrivé sur la croisette aujourd’hui, projeté dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs. Après plusieurs longs-métrages relativement intéressants, Silva s’est tourné vers le film de genre pour proposer sa version du film d’ambiance tirant vers l’horreur, à travers une histoire inspirée de faits réels. Un film indépendant donc, mais néanmoins porté par quelques jeunes noms bien connus, Michael Cera en tête qui retrouve le réalisateur après un premier film intitulé Crystal Fairy, mais également Juno Temple (Killer Joe, Kaboom, The Dark Knight Rises) et Emily Browning (la Baby Doll de Sucker Punch, la grande sœur des Orphelins Beaudelaire …). Un casting franchement premium peu courant à la Quinzaine qui laissait présager du meilleur, d’autant que la volonté initiale de Silva était de proposer une œuvre d’épouvante fortement inspirée par le cinéma de Polanski des années 70 et de William Friedkin. Une réelle ambition donc qui ne fait que contraster encore plus avec le résultat final, sorte de délire incompréhensible qui se loupe à peu près systématiquement dans tout ce qu’il entreprend.
L’idée de base de Magic Magic consiste à envoyer un petit groupe d’amis sur une ile isolée aux abords du Chili. Un petit groupe qui fera la connaissance de l’amie de l’un d’eux, Juno Temple. Avec ses antécédents de rôles de filles toujours sur le fil, il n’est pas difficile d’identifier que c’est par elle que les péripéties arriveront. De là, Silva va tenter d’installer une ambiance oppressante en se plaçant du point de vue de Temple, se renfermant progressivement sur elle-même tout en commençant à avoir des propos et des agissements incohérents. Une bonne idée en soi d’autant que l’on connait le talent de l’actrice pour ces prestations extraverties de fille dérangée. Mais c’est bien dans le traitement du fond et de la direction globale du film que Silva se perd, donnant la forte impression que personne ne savait trop où il allait dans cette histoire. Magic Magic est pourtant le projet phare du réalisateur puisque Crystal Fairy avait mis en chantier uniquement dans le but de pouvoir un jour mettre sur pieds son film de genre. Il est donc extrêmement étonnant de voir à quel point Silva patine avec ses personnages, tentant de leur donner un peu de corps en faisant plus ou moins comprendre aux spectateurs le drame que chacun porte en lui, mais sans jamais utiliser se background pour aider son propos. L’homosexualité probable du personnage de Brink (Michael Cera) est amenée mais jamais exploitée dans son rapport aux autres membres du groupe, l’avortement récent de Sarah (Emily Browning) ne sert qu’à la freiner au moment d’un plongeon, la sœur la plus âgée du groupe extrêmement renfermée semble cacher quelque chose mais au final, tout cela ne sert à absolument à rien si ce n’est à allonger des minutes déjà bien longues.
Fort heureusement, Jun Temple et sa capacité à livrer crescendo une performance de folle dingue demeure l’intérêt principal du film mais là encore, elle subit le poids d’un manque de cohérence générale. Les petites scènes du quotidien se multiplient, amenant progressivement cette jeune fille à s’éloigner psychologiquement du groupe pour entrer dans une sorte de réalité parallèle, fortement aidée par quelques séquences d’hypnoses amateurs que le groupe tentera de lui délivrer pour qu’elle se sente mieux. C’est dans ses moments de perte de contrôle que Magic Magic propose son lot de séquences improbables (mais pas inintéressantes cela dit) mais tellement éloignées du reste du long-métrage que l’on ne sait pas vraiment quoi en penser en les découvrant. Malgré ces problèmes de fond assez fatals, le film de Silva dispose pourtant d’une forme réussie dont le succès tient en partie à la direction de la photographie de Christopher Doyle, connu pour son travail de grande qualité avec des cinéastes comme Wong Kar-wai, Jim Jarmusch, Gus Van Sant ou encore Nigh Shyamalan. Jouant des contrastes et des paysages offerts par le décor Chilien, Magic Magic se révèle particulièrement élégant notamment dans les séquences à proximité de la mer, un maigre réconfort comparé à l’ennui que procure son visionnage.
Jamais effrayant (au mieux on peut parler d’un film d’ambiance), jamais empathique, peu clair dans la finalité du propos, le nouveau film de Sebastián Silva se paye même le luxe d’enfoncer un peu plus le clou dans le dernier acte du film, sorte de craquage WTF pour introduire les Mapuches (peuple d’indigènes vivant au centre et au sud du Chili), provoquant l’incompréhension la plus totale chez les spectateurs, et annihilant toute l’ambiance qu’il avait pourtant eu tant de peine à mettre en place. Si l’on peut comprendre ce final d’un point de vue géographique, il dessert totalement l’histoire en clôturant Magic Magic sur une note franchement ridicule… pari raté.