« Le titre c'est la patrie du film » disait Godard. Maine Océan est un beau titre, plein de sens. Il délimite l'espace : l'histoire débute avenue du Maine, gare Montparnasse et finit au bord de l'océan.
C'est un paradoxe nominal, on juxtapose deux noms d'eau (douce et salée) pour qualifier un moyen de locomotion tout à fait terrestre : Le train Paris-Saint Nazaire de 17h28.
Rozier place en effet son film sous le thème des différences de langage, des accents et autres nuances de la parole. La confrontation de tous ces différents corps et accents frappe le spectateur, qui suit la déambulation d'une véritable auberge espagnole.
On y retrouve une danseuse brésilienne, un impresario latino-américain, une avocate d'Angers, un marin de l'île d'Yeu, des contrôleurs de la SNCF...
Chacun parlant sa propre langue : le brésilien, le droit juridique, le Poitevin, la langue de bois...
A cela s'ajoute la teinte, la couleur de l'accent, de l'intonation, des nuances qui complexifient encore un peu plus les rapports entre chacun des personnages.
Malgré cela le spectateur comprend tout, même le sabir de Marcel Petitgas, dont les phonèmes et les mimiques suffisent à apporter du sens.
Les personnages finissent eux aussi par se comprendre, et se lient peu à peu, jusqu'au moment suprême de la répétition de musique, sorte de communion transcendante. Cette scène dite du « Roi de la Samba » est belle et poignante dans sa construction, dans sa durée. Elle concentre l'essence même du film, les différences, les accents des personnages s'y imposent un par un et renaissent en symbiose. C'est cette scène précise qui marque le tournant du film et qui axe l'intrigue sur le calvaire du contrôleur Le Garrec.
Rozier ne cède pas à la facilité d'un melting pot des classes sociales, classique et utopique. Le brassage qu'il nous propose est le seul fruit du hasard, tout comme la construction de l'intrigue et l'enchaînement des péripéties. C'est de cette marche hasardeuse que Maine Océan tire tout son charme. Les joies, les colères et les humeurs des protagonistes dansent dans ce film, insouciantes et frivoles, comme la charmante Dejanira.
Et pourtant, l'histoire semble bien partagée en trois temps, en trois lieux de confrontation, en trois personnages. Ce sont en réalité trois classes sociales, trois langages et trois crédibilités différentes qui s'affrontent.
Le premier temps de ce triptyque se déroule dans le train « Maine Océan ». Dès le départ l'enjeu du langage est présent : le français et l'anglais tentent d'écraser la minorité brésilienne. Les gens de pouvoir, les contrôleurs, utilisent à leur profit cette barrière de la langue.
En réaction à cet abus n'apparaît au départ que la résistance passive de Dejanira qui grâce à son incompréhension, freine l'appétit punitif des deux cheminots.
En soutien et un peu par hasard, vient s'ajouter la résistance active et bavarde cette fois de l'avocate. Sa connaissance des lois, son art du bagout et le pouvoir visuel de sa robe de magistrat suffisent à remettre en cause la légitimité des contrôleurs.
On assiste alors à une première graduation de la hiérarchie des langages.
Le deuxième lieu d'affrontement, c'est le tribunal d'Angers, le procès de Marcel Petitgas.
Il est victime durant l'audience de sa rudesse, de son franc parler, de son accent. Les codes sociaux du monde lui échappent, il ne s'exprime pas selon les normes. Il sera jugé plus sur sa non-conformité que sur l'affaire pour laquelle il comparait.
L'avocate, pour rattraper le tir, développe une argumentation déstabilisante, où la rhétorique est célébrée dans la démesure.
Au-delà de l'impression de hors sujet de son discours, elle s'appuie sur des éléments implicites du procès : ceux de la justice des classes pour lesquels on juge Petitgas... hiérarchie redondante de la crédibilité.
Le troisième terrain de jeu de toute cette troupe c'est l'île d'Yeu, le fief de Petitgas, intégré parfaitement dans ce milieu, le portant en étendard, comme son identité.
C'est le terrain populaire du commun, de la classe ouvrière, et le marin en maîtrise tous les codes de langage et d'attitude.
La hiérarchie du langage est soudain renversée, les contrôleurs de la SNCF sont perdus dans un monde où la logique est très différente de la bête et stricte application d'un règlement ferroviaire. Même lorsque Petitgas et Le Garrec se réconcilient, c'est le marin qui en prend la décision et qui va sans effort obtenir une complainte sur la bêtise du métier de contrôleur.
C'est à domicile que chacun des personnages a remporté son « match ». Pour gagner à ce rapport hiérarchique, il faut connaître parfaitement le terrain social sur lequel on interagit.
Malgré ces victoires, certains ne se sentent pas réellement attachés à leur milieu.
C'est le cas de Le Garrec, qui, le temps de cette escapade à l'île d'Yeu souhaite plus que tout avec espoir, s'extirper de sa condition.
Rozier, ou l'albatros comme on a pu l'appeler, nous emmène une nouvelle fois avec ses personnages au bord de la mer, faire une pause avec nos vies, vivre une aventure improbable. Le retour à la réalité sera rude.
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