"Toutes les femmes de ta vie sont en moi réunies" (L5)
Ce court-métrage, souvent recalée pour ses grosses ficelles, est presque parfait à mes yeux sur un plan didactique du féminisme.
Grosses ficelles ? Manque de crédibilité ?
Tout d'abord, annonçons la couleur : la crédibilité est moins l'intention du court-métrage que de montrer des cas grotesques où l'inversion des "muscles" invitent à prendre conscience de l'absurdité de situations très pratiques. Si je vais revenir un tout petit peu plus tard sur la qualité de cette "inversion musculaire" et du relâchement du périnée, c'est la première chose à reconnaître : la crédibilité n'est pas l'enjeu de ce court-métrage. Ni l'enjeu ni l'intention. Tout simplement parce que la crédibilité n'est même pas envisageable car elle paraîtrait forcément ridicule. Et s'il est une force dans ce condensé de violences, c'est qu'il n'est jamais ridicule tant chaque élément est révélateur d'un rapport de - non pas de force mais de - domination.
Il est reproché que le mâle paraît très peu viril. En effet, il faut exprimer pourquoi il apparaît sous cette forme et pas une autre. Fallait-il que le personnage principal soit viril ? Oui, moi aussi, je l'ai trouvé "féminin" à première vue. Mais ce qu'on attribue le plus souvent aux comportements féminins dans l'opinion générale est notamment tout ce qui a trait à la soumission, et cette soumission est l'un des pilier les plus manifestes du fait patriarcal en société, autrement dit il est ce processus de domination et d'objectivation. Et ce processus commence bien avant que le court-métrage ne commence ! Hélas non, messieurs, il ne pouvait pas être viril... Ou alors on touchait à des stéréotypes qu'il n'était pas nécessaire d'aborder : Hé quoi ? On se serait retrouvé avec un Gérard Vivès de la sitcom Les filles d'à Côté ?!... Et tout le monde aurait pensé que c'était l'image de l'homosexuel ?! Alors que là, il y a un bon compromis, pour mettre en lumière justement la soumission, la culpabilité et la sidération ressentie.
Par contre, je conviens que le choix du rôle aurait peut-être pu revenir à quelqu'un de mince et avec une barbe de trois jours hyper soignée (la minceur fait aussi parti de ces diktats sociaux et... la pilosité aussi).
C'est faire fausse couche d'y voir une "femme" plus que la représentation d'un être que tout ou presque met au second plan dès qu'il ouvre la bouche. Et pire, dès qu'il ouvre la bouche, ça se retourne contre lui... Bref, nous avons ici un cercle vicieux où l'homme devient soumis du fait de la violence dominante - ce qui fait qu'il s'occupe du gosse, ce qu'il fait qu'il a du temps libre pendant que sa compagne va travailler, ce qui fait qu'il se fait siffler par des nanas torse-poil. Bref, une multitude d'agressions qu'il ne convient nullement de séparer les unes des autres et où, surtout, le rôle masculin ne pouvait pas être viril de prime abord car cela aurait retiré le dynamisme et les formes d'objectivation du corps et du désir masculin (ou plutôt féminin puisque je parle des intentions du film).
Il a été dit raciste, c'est ridicule : l'intention ici est de montrer toutes les agressions qui objectivent (c'est-à-dire qui ont pour but de soumettre, de traiter l'autre en objet, sans l'écouter) le corps féminin et l'expression de son désir. C'est une uchronie qui reprend les codes actuels. Oui, il existe des français pas tout à fait blanc
A ce propos de considérer la couleur de peau pour affirmer un racisme, je trouve ça assez lamentable et superficiel pour discréditer un projet qui fait réellement du bien à regarder et à partager. Par contre, on peut parler aussi du mythe du bon sauvage d'Intouchables, c'est autre chose dans le racisme mais, généralement, ça calme aussitôt et surtout, surtout, c'est tout de suite moins superficiel dans la mesure où Driss se fait exploiter de bout en bout sur fond d'humanisme (un film de gauche pour un public de droite quoi).
Il faut agréger chaque élément de soumission dans ce court-métrage de sorte à arriver à un tableau des violences matriarcales, violences à transposer par la suite. Ceux qui contredisent, qui vous diront que c'est bien comme c'est actuellement ne font pas le lien des violences et leur rhétorique ne se reposera que sur l'omission et la division. Il m'a été dit autour de ce film que, dans notre société, un homme qui ne travaille pas et qui joue les seconds rôles dans un concubinage n'est pas très choquant en soi. Mais, hélas, ce n'est pas de cela dont on parle. Je ne sais pas si vous êtes au courant mais les femmes, dans notre société, sont largement plus vulnérables face à l'emploi que les hommes (et sur tous les plans pouvant toucher à la profession) : être une femme, c'est avoir 20 % de salaire en moins (quelle que soit la fonction que les femmes occupent, notamment par comparaison avec les hommes, elles gagnent toujours un peu moins en général) ; être une femme, c'est être mieux qualifiée, avoir fait en général plus d'études, tout ça pour viser des postes subalternes ; être une femme, c'est 40 % de pensions de retraite en moins par rapport aux hommes ; être une femme, c'est 62 % d'emplois non qualifiés ; 1.4 millions de femmes touchent le RSA contre un million d'hommes ; être une femme, c'est 80 % de "chance" de toucher un bas salaire et 30 % d'avoir un temps partiel (subi ou "non" - contre moins de 5 % chez les hommes) ; 70 % des femmes ont un travail mais bizarrement, c'est 75 % pour les hommes ; être une femme, c'est 90 % de chance d'avoir un congé de maternité (et sur ce point, faudra pas s'étonner que si les hommes et les femmes considèrent, sur des a priori réactionnaires, que la différentiation sexuelle s'explique par le fait que les femmes sont faites pour avoir des enfants et les éduquer).
J'habite personnellement dans un quartier populaire et moi, des hommes seuls qui poussent des poussettes dans le parc ou dans la rue, ce n'est pas ce qui se fait de plus significatif. Alors, je le dis, il est peut-être ancré dans les consciences qu'un homme peut remplir cette fonction, que... cela ne poserait pas de problème majeur, pas de perte d'identité sexuelle ou de cas de conscience sur la virilité. En revanche, dans les tendances sociales, et en regard de certaines couches de la populations, cela soulève surtout une autre question qui est : pourquoi notre héros opprimé ne travaille-t-il pas ?
Au travers de stéréotypes brutaux et dans un sexisme inversé, ce court-métrage est idéal pour observer l'absurdité des rapports entre les hommes et les femmes que le patriarcat et ses lois d'un autre âge veulent imposer.
C'est un court-métrage qui fait parler, qui met des questions sur la table et dans la société, des questions ô combien légitimes : combien d'entre nous pensent par exemple qu'une femme torse nue, bah... elle devrait quand même faire gaffe à ce qu'elle montre... parce que sinon ce sera de sa faute ? Combien d'entre nous pensent qu'une mini-jupe est le signe d'une invitation à une relation charnelle ?
Oui, il fait le travail de ce court-métrage qui, dans un temps record, arrive à me faire dire que c'est le genre de questions que je préfère voir dans la société plutôt que des débats sur l'identité nationale ou le mariage pour tous (deux débats que je trouve foncièrement réactionnaires et opportunistes, de gauche comme de droite). Sur un plan purement rhétorique (ou mathématique), la démonstration inverse est un raisonnement déductif qui peut constituer une preuve suffisamment raisonnable et, donc, légitime pour que cette preuve soit considérée. Et je dois reconnaître que des films comme Tootsie ou Jacky au royaume des filles (... et quelque part, de manière beaucoup plus fine, Kramer contre Kramer) sont, comme "Majorité opprimée", des pièces à convictions et des mises en relief assez imparables pour dénoncer les inégalités sexuelles et genrées sur le terrain. Nous sommes des millions de femmes et d'hommes à penser à nos rapports anormaux ou partiellement anormaux, pourquoi enfermer ces problématiques dans des placards ?
Pourquoi les laisser aux mains de groupes fanatiques et désordonnés ?
Au contraire, exprimez ces problématiques !
Répétez-les ! Multipliez-les ! Sortez-les ! Evadez-les ! Préparez-les ! Travaillez-les !
Discutons-en.
Ce film, c'est un premier pas essentiel, quelque part éternel, qu'il faudrait peut-être compenser par cinq petites minutes supplémentaires, en montrant que la femme-macho est aussi victime dans son rôle, pas autant l'homme soudainement objectivé mais victime quand même. La toute fin m'inspire le sentiment d'un rapport de domination unilatéral, c'est un fait. Mais ce rapport ne donne pas les beaux rôles aux uns et les mauvais rôles aux autres. C'est surtout en terme de simplisme et de manichéisme que je perçois la limite du projet. C'est-à-dire qu'on reste dans l'idée qu'il y a un comportement nocif alors qu'il existe, asymétriquement, deux comportements nocifs. Et bien que la caricature soit d'emblée de mise, placer un final sur le manichéisme, l'orgueil supérieur de l'un et l'annihilation de l'autre, est un quelque chose de très malheureux, voire de profondément anti-hommes (je ne dis pas antipatriarcal car tout l'anti patriarcalisme n'est pas basé sur la non mixité ou sur le renversement des hommes). Je reprocherai donc un simplisme inacceptable pour la prise de conscience, pour une bonne communication et pour un bon didactisme sur le sujet.
http://www.youtube.com/watch?v=kpfaza-Mw4I
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Vous pouvez retrouver ce film et un autre commentaire en rapport avec ma liste qui s'interroge sur le grotesque : http://www.senscritique.com/liste/Le_grotesque/335712/page-2/