Quand c'pas tragique, c'est Maléfique.
Je suis allé au cinéma hier soir, et je n'ai pas vu Maléfique. Ou si : pendant 5 minutes, alors qu'une vile sorcière vient maudire une pauvre gamine. Là, j'ai vu Maléfique. Celle qui porte bien son nom, celle qui est un des "méchants de Disney" les plus classes du siècle.
J'étais très emballé à l'idée de voir ce film. Je suis un grand n'enfant et je trouvais la bande-annonce assez aguicheuse, voire intrigante. Tout cela promettait d'être mystérieux, et peu manichéen. Quelles étaient donc les justifications de la cruauté incarnée ?
Le film s'ouvre sur une sorte de prologue plutôt bien amené, qui assume la filiation au conte de fée de Disney, et qui annonce effectivement "une histoire un peu différente de celle qu'on nous a racontée". La jeunesse du personnage éponyme est attendue, c'est enfantin, joyeux, avec de l'amour mignonnet quoiqu'un peu cul-cul. Mais tout se tient plutôt bien, jusqu'à la fameuse malédiction lancée à la Belle au bois dormant.
Maléfique, femme trompée et trahie, a un mobile excellent, une vraie raison de vouloir retirer son enfant à cette raclure de bidet qu'est le roi Stéphane. Tout se tient. Angelina Jolie - que je n'aime pas particulièrement - campe à merveille le personnage. Et puis là, ça commence à partir en cacahuète.
J'avais l'intuition - mais j'ai dû me tromper - qu'avant d'être un film pour enfant, Maléfique était un film pour ceux qui avaient aimé la version Disney de la Belle au bois dormant, qui n'étaient pas rassasiés de cette fresque aux dessins originaux, à la langue châtiée et à la musique quasi-lyrique (check Tchaïkovski). La bonne idée aurait été de permettre à ces gens de retrouver les personnages de leur enfance, humanisés et différents, mais tout de même là. Alors que dire déjà des noms des 3 bonnes fées ? En français, Flora, Pâquerette et Pimprenelle deviennent bêtement Hortense, Capucine et Florette : je voulais fustiger les traducteurs, mais la VO aussi a changé les noms. Outre les noms, ces 3 bonnes fées plutôt sages et âgées deviennent des naines enchantées de la forêt, réservoirs à gags lourdingues, le tout avec un doublage que je trouve raté. A mon sens, elles n'auraient pas dû tenir davantage de place que dans la bande-annonce, c'est-à-dire un bref caméo, agréable pour le spectateur averti, et pas dérangeant pour le novice.
Parlons un peu de cette scène de la malédiction. C'est une copie quasi-parfaite du dessin animé, et c'est chouette ! Vraiment ! On appelle ça le partage d'une culture commune qui fait plaisir. On est content de revoir ça, mais autrement. De le revoir, oui oui. Parce que c'est à peu près tout ce que ce film permet de retrouver de la version animée de Disney. Et encore, tout n'est pas parfait. Les dialogues. J'ai cru à une version québécoise - les noms des fées ne m'ont pas aidé d'ailleurs. Originellement, apercevant les fées, Maléfique dit : "Ah, et il y a aussi... la racaille." Est-ce la situation politique actuelle qui a forcé les traducteurs à défoncer ce petit trait de cruauté pour en faire un méprisant "Et aussi... le petit peuple". C'est peu de choses, me direz-vous. Mais bon sang, autant assumer la filiation jusqu'au bout et jouer le revival. On avait vu que l'histoire n'était pas la même, hein. 5 minutes de plagiat assumé n'auraient pas défoncé l'originalité du scénario.
Et parlons-en, de l'originalité, de l'aspect "réécriture". Moi, j'appelle ça une bavure.
Continuons notre chemin. Maléfique s'attache donc à la gamine. Soit. Maléfique regrette sa malédiction. Maléfique essaye de l'annuler, mais n'y arrive pas. Maléfique est triste et s'avère être vraiment la "marraine la bonne fée" d'Aurore, comme le dit cette dernière. Et là, c'est manichéen. Tout est manichéen : de Stéphane qui est ambitieux, et pourri, connard de base de sa rencontre avec Maléfique alors qu'il a 10 ans à sa mort par défenestration à l'âge de 50 ans - grosso modo, hein. La sorcière - qui est donc une fée - est gentille, du début à la fin. La malédiction, c'est jamais que 2h d'égarement, parce que bon, Maléfique est quand même légitimement verte d'avoir vu ses ailes coupées par ce salopard qu'elle aimait, hein. On n'appelle pas ça de la méchanceté. De l'humanité, à la limite, le tout suivi des regrets bien comme il faut. Les autres personnages sont sans profondeur. Maléfique n'est pas profonde, Stéphane non plus. Pas de monologue intérieur, et peu de doutes sur ses actes. On passe vite d'un sentiment à l'autre, et quand on a viré de bord, c'est ad nauseam.
La nausée, c'est un peu là que nous mène la fin de ce film. Ce film et l'idée d'un remake avait tout à gagner à coller à la fin du dessin animé. Comment, par un chemin différent - celui de Maléfique - arrive-t-on à une fin similaire ? Et tout cela aurait été tragique. Un personnage réhabilité, devenu sympathique, qui finit par mourir parce que les humains sont stupides et n'ont pas cherché à la comprendre. Pourquoi le prince n'arrive-t-il pas pour la tuer par erreur ? Non. Elle est gentille, et les gentils ne meurent pas. Alors Maléfique est non seulement réhabilitée, mais elle est aussi ressuscitée. Ce personnage qui cherche à anéantir le monde finit par le sauver, précipitant le gros-méchant-pas-beau roi Stéphane du haut d'une tour. Et voilà. On retourne au Pays des Merveilles, parce qu'Aurore va régner sur le monde des humains et sur la Lande (le monde magique). Et le prince - un Justin Bieber avec 3 lignes de dialogue et sans capacité à réveiller une princesse endormie - qui arrive d'on ne sait où, parce qu'il ne faudrait pas qu'elle finisse seule, cette brave petite. Pourtant, on n'en aurait pas été à une approximation près vis-à-vis du conte originel, hein.
Aurore est le seul personnage qui colle à l'oeuvre de base : sans saveur, et qui traverse l'histoire pour servir de moyens à l'un ou l'autre des personnages. Elle dort, quoi. D'ailleurs, l'actrice a l'air d'être sous morphine. Et big up à ce réveil merveilleux de la Belle au bois dormant. J'avais vu le coup venir. Je me disais : "noooon, ils vont pas nous jouer La Reine des Neiges avec le baiser d'amour sincère qui n'est en fait pas celui du prince mais celui de la soeur" - de la mère de substitution en l'occurrence. Et bah si ! Finis, les princes qui embrassent les princesses pour les réveiller. Plus jamais. L'amour, maintenant, il est maternel ou fraternel, épicétou ! Là.
Je mets la moyenne au film, parce que pris pour lui-même, il est sympa à regarder. Cul-cul, mais sympa. La musique est agréable à entendre, la photographie et les effets spéciaux sont vraiment réussis - sauf pour les 3 bonnes fées qui ne ressemblent à rien -, et ça se regarde, si. Mais j'ai été déçu de ne pas voir Maléfique, et tout cela n'a rien de transcendant. Peut-être qu'une demi-heure de film supplémentaire, un peu d'introspection et une fin en ironie tragique m'auraient permis de prendre mon pied. Mais non. J'ai fait comme Aurore, j'ai regardé les choses se faire, et je me suis réveillé. Là.