Une suite à la hauteur et marquant ses points ailleurs, où toutes velléités en 'complexité' sont définitivement enterrées. Avec son style baroque/rococo précoce (on reste théoriquement au XIVe siècle), Maléfique 2 semble fantasmer un passé uchronique, où la mise à mort d'un monde féerique n'aurait pas eu lieu, où la magie se serait maintenue grâce à un transfert bienveillant. L'univers est ravissant, les effets spéciaux irréprochables et on nous sert toujours au moins une sublime 'méchante'. Après une scène d'horreur pour enfants nous sommes introduits dans ce monde de fantasy par voie aérienne, puis quand nos pieds toucheront terre nous aurons droit à des costumes de qualité, des bestiaires discrets mais abondants et quelques orgies chromatiques. L'encadrement est assuré par un probable nouveau yes-man qui vient de signer le dernier (5e) Pirates des Caraïbes (le co-réalisateur récurrent d'un [compatriote norvégien] Sandberg depuis Bandidas). Aussi on reste à la maison, il n'y a rien de prodigieusement neuf ou sérieux sur le fond (sauf via les automatismes et la couche idéologique), mais en plus toute ampleur tragique est définitivement flinguée – sauf dans la mesure et les instants où la vigueur technique permet de la leurrer.


Pour les protagonistes à haut statut une résurrection reste toujours possible, même à deux reprises – de quoi atténuer le suspense déjà résiduel – mais aussi de quoi doper l'émotion pour les publics sous emprise. Le développement est carrément prévisible et à l'occasion démesurément lent mais il suffit de vagues affinités avec ce monde enchanté et on ne s'ennuie jamais. La seule faute grave est du côté de l'argument numéro 1 : après une introduction décente et une préparation l'amalgamant avec un Sheldon, Maléfique dégringole auprès de son groupe d'anges déclassés. Angelina Jolie prend l'allure d'une sorte de Béatrice Dalle à l'IMC dramatiquement bas et s'engage dans un des surplaces gênants du film (l'autre est ce piège évident où les gens de la Lande exhibent en deux temps leur réactivité d'une médiocrité apocalyptique – voir un bel arbre se sacrifier pour une triplette de naines sera d'autant plus accablant). Pour ce qui la concerne, on croirait assister à une pub exotique soufflant 'réveillez vos sens' sauf que rien ne se produira avant le grand match. Et que son partenaire éventuel devient évanescent (et même mourant) dès que son identité perd de son mystère (pendant que la racaille poursuit son tapage). L'ensemble des personnages sont atteints par ce sombre mal qui affectait déjà le premier opus. Au démarrage Aurore Fanning 'fait' gentiment adulte, très vite une piteuse promesse de mariage la fait rechuter, puis les manipulations de la marraine de substitution vont l'enfoncer. Prince couillon est d'allure plus royale ou 'apollinienne' qu'il l'aurait été avec le premier prévu (Brenton Thwaites) mais c'est sa seule vertu – il s'exprime encore trop.


Le corbeau désormais principalement sous forme humaine et la reine-mère sont de loin les mieux lotis dans cette foire – souvent présents et pas à l'état liquide, bien qu'eux aussi soient prisonniers d'une écriture simplette. Pfeiffer apparaît d'abord à armes égales face à Maléfique, en reine classique au 'bling-bling' pseudo-médiéval face à l'ange déchu au style sobre et différent. Deux sortes de magnétismes, d'autorités et de raffinement. L'une relativement impulsive et passionnée, l'autre calculatrice et au plus haut de la forme humaine. La compétition est rude mais à l'issue de la déclaration de guerre la reine l'emporte (jusqu'à une bataille où certains éléments sont mal raccommodés). Cette reine chauviniste menée par la haine et l'avidité joue le rôle d'une espèce de némésis morale à laquelle on accorde sa dernière heure de gloire – avant le triomphe d'une normalité consistant à introduire le carnaval de Rio à Versailles et enlacer la cité orgueilleuse via une Nature redevenue souveraine. Adieu l'âge de fer et les fantasmes d'exclusivité humaine, place aux créatures et aux tribus – et aux jouvenceaux nouveaux prenant une voie forte pour déclamer les vieilles niaiseries grandiloquentes. Simplement aujourd'hui la foule flattée est bigarrée et le temps de lui donner des ordres semble dépassé.


Sur l'ensemble de la séance, Disney est fidèle au label Maléfique : c'est toujours la plus méchante qui a le plus de charisme et de poids. Forcément, comme celle-ci est 'vraiment' odieuse et ne protège qu'un peuple abstrait et non ses proches ou un gang d'opprimés, elle devra être être remise à la place supposée rassurer l'auditoire. Son humiliation finale est cohérente avec l'idéal de tolérance et de régime pacifiste ouvertement revendiqué, mais à ce moment le consensuel et le bas-de-gamme paraissent synonymes et se liguent contre une voie certes partiale et violente, mais autrement remuante et créative. Heureusement personne ne s'attendait à l'inverse, mais c'est ironique ; on a pris le parti d'une demi-méchante pour la pousser sur la voie de la liquéfaction dès que son ambiguïté est assimilée et gommée par sa bonté ; puis voilà une autre marâtre diabolique, la seule à toucher les limites de l'ouverture et du dépassement revendiqués par Disney. Mais le lissage a des vertus et Maléfique 2 est propre, avec probablement l'humour le plus doux et le minimum de vulgarités envisageables.


https://zogarok.wordpress.com/2019/10/27/malefique-le-pouvoir-du-mal/

Zogarok

Écrit par

Critique lue 311 fois

1

D'autres avis sur Maléfique - Le Pouvoir du mal

Maléfique - Le Pouvoir du mal
Walter-Mouse
2

Dark Phoenix

Le bide d'Alice de L'Autre Côté du Miroir aura servi de leçon à Disney en 2016, leur public est prêt à se faire avoir une fois mais deux, le potentiel commercial des remakes en Live-Action s'arrête à...

le 17 oct. 2019

22 j'aime

10

Maléfique - Le Pouvoir du mal
Lordlyonor
4

En plongeant dans les flammes, elle pensait atteindre la redemption tel un phoenix: il n'en est rien

Avant de commencer cette critique, j'aimerais ouvrir une parenthèse (Ok je vais devenir comme Linkthesun si ça continue) Il y a deux types de reboot live Disney: -Ceux qui reprennent limite plans par...

le 20 oct. 2019

12 j'aime

4

Maléfique - Le Pouvoir du mal
Boleyn
6

Un positivisme utopique

Angelina Jolie revient pour la suite des aventures de la célèbre méchante de Disney, Maléfique. Alors que le conte a pris une tournure originale dans le premier film, offrant une nouvelle vision qui...

le 16 oct. 2019

11 j'aime

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

51 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2