La bataille de Malignant pour la folie d'une idée

Même s'il reste toujours le pape du Conjuring-verse par son statut de producteur et initiateur de cet univers d'épouvante, James Wan nous avait laissé penser qu'il abandonnait peu à peu l'ambition de nous faire frissonner au cinéma. En effet, après un "Conjuring 2: Le cas Enfield" où il semblait arriver en fin de cycle, avec l'impression d'avoir fait une bonne fois pour toute le tour du registre par lequel il avait imposé son nom dans les esprits, le passage de relais à un nouveau metteur en scène sur le troisième opus de la saga-mère autour des époux Warren semblait parachever son envie d'émancipation du genre afin d'aller explorer d'autres horizons cinématographiques...
C'est donc quelque part avec surprise que l'on accueille "Malignant", production horrifique tournée entre deux "Aquaman" et qui marque le retour de Wan sur son terrain de prédilection avec une histoire imaginée par lui-même et sa compagne, l'actrice Ingrid Bisu. Est-ce là une simple récréation pour revenir sur ses acquis en s'assurant facilement un succès avant le tournage d'un blockbuster ou est-ce quelque chose de plus signifiant, marquant une nouvelle étape du parcours personnel de James Wan dans les sphères de l'horreur ?


En soi, l'excellent et étonnant prologue rétro nous fait directement pencher vers la deuxième hypothèse, le réalisateur australien ne s'était jamais encore aventuré dans un tel cadre convoquant immédiatement toute une imagerie du cinéma de genre bien plus proche de Cronenberg que d'une aventure de la poupée Annabelle. D'ailleurs, on découvre ensuite Annabelle Wallis dans le rôle de l'héroïne, celle qui incarnait l'épouse blonde modèle des 70's opposée au jouet maléfique dans le premier spin-off de "Conjuring" signé par John R. Leonetti a disparu pour laisser place à une femme qui n'a plus rien d'heureux : brune, les traits tirés, frappée par un mari violent et victime de fausses-couches à répétition, ce personnage principal est déjà brisé, à mille lieues des familles heureuses prêtes à voir leur bonheur s'évanouir face au surnaturel. Quelque chose de bien plus sombre qu'à l'accoutumée s'est définitivement immiscé au royaume de James Wan...


Pourtant, c'est finalement par des ficelles plus classiques de l'épouvante que nous sont introduits les premiers agissements de la menace au cœur de "Malignant". Sans surprise, l'expérience de Wan en la matière n'est plus à prouver, d'autant plus qu'elle débouche sur bon nombre de plans-séquences toujours inspirés pour accompagner au plus près la fuite de l'héroïne dans la terreur face à un phénomène qui la dépasse. Sans se défaire de ce socle familier qui continuera d'habiter une bonne partie de "Malignant", Wan va également lorgner du côté du thriller surnaturel, adjoignant au mystère de ce mal un duo policier et les éléments plus matériels d'une bonne vieille enquête sur une série de meurtres mystérieux (comment ne pas penser à un certain "Saw" ? D'autant que les personnages de flics aussi lisses que leurs acteurs rappellent ceux des suites). Mais ce n'est pas tout : alors que le film cherche à nous placer dans le même état d'incertitude que son héroïne quant aux raisons qui le poussent à fondre divers sous-genres aux extrémités de la filmographie de Wan en un tout, "Malignant" se met à exploiter les visions de l'héroïne dans des tableaux d'entre-"deux mondes" absolument superbes tout en n'y éludant pas la brutalité de la violence primaire qui s'y joue grâce aux accents sur les couleurs et les corps déformés par la sauvagerie meurtrière. En plus du reste, le long-métrage se pare donc d'inspirations tenant autant du giallo que du body-horror, des formes d'horreur bien plus adultes de la part d'un Wan en voie de maturation par rapport à ses travaux précédents, pour nous perdre dans cette enquête au déroulement paradoxalement beaucoup plus formatée. Ce dernier point (noir par rapport au reste) va d'ailleurs devenir presque problématique passé l'heure du film.


Alors que "Malignant" continue d'enchaîner les jolies trouvailles visuelles à la lisière de plusieurs catégories horrifiques, la conduite du récit, elle, donne effectivement de plus en plus le sentiment de patiner sur un parcours d'investigations qui n'a pas grand chose d'inédit à offrir pour permettre aux personnages de remonter à la source du mal, si bien que l'on en arrive à un moment à se demander si les qualités formelles ne vont pas se résumer à de l'esbroufe pour masquer une intrigue déjà vue tout en gardant évidemment l'espoir qu'une idée inattendue va surgir pour renverser la vapeur...


On avait tort de sous-estimer Wan car le bonhomme va alors sortir le plus énorme lapin qu'il n'ait jamais imaginé de son chapeau ! Une idée complètement barge, improbable, folle, aux conséquences grandguignolesques, digne d'un esprit complètement déviant ou sous l'effet d'un acide à la puissance inimaginable, qui n'a probablement pas fini de faire parler et diviser par tous les qualitatifs outranciers qu'elle peut impliquer... mais qui va se révéler bien entendu géniale par l'effet de surprise équivalent à celui d'un coup de Trafalgar qu'elle provoque sur "Malignant" (j'en suis personnellement resté scié et j'ose pensé qu'il en faut tout de même beaucoup pour me laisser aujourd'hui bouche bée devant un film d'horreur). Et on ne parle ici que de la révélation en elle-même car son influence est désormais incontournable sur la lecture à donner aux directions prises par le film ! La nature de ce qui est ainsi mis en lumière va dès lors justifier une majorité des partis pris précédents, que cela soit en termes de mélange des genres pour raconter cette histoire ou la pertinence de certains cadres qui voient leur portée symbolique prendre une nouvelle ampleur, "Malignant" fait bien partie de ces films qui ont été construit à partir d'une idée majeure et dont l'emprise se fait ressentir aux quatre coins du récit à partir de la seconde où elle est exposée.
Et comment ne pas parler de "l'après" ? Comme libéré des brides entretenues par l'attente de la véritable teneur de folie de l'entreprise, Wan se lâche complètement dans une dernière partie se donnant pour but de tirer le maximum (et en un temps record) de tous les aspects les plus délirants, violents et seulement entrevus jusqu'alors de cette situation ubuesque. Bien sûr, pour apprécier le spectacle, il vous faudra adhérer à la tournure incroyable des événements (c'est là où "Malignant" prend le plus gros risque) mais, si c'est le cas, il vous sera bien difficile de ne pas partager la frénésie et la jubilation d'un Wan en train de s'éclater derrière la caméra tel un enfant turbulent tout heureux des conséquences du vilain tour qu'il vient nous jouer, et ce malgré un dénouement qui préfère se réfugier encore une fois dans des voies plus convenues.


Eh bien... Alors qu'on le pensait prêt à tourner la page de l'horreur, James Wan vient se rappeler à notre bon souvenir avec une idée sidérante et tellement énorme qu'elle en viendrait presque à faire oublier les imperfections narratives du film servant à la mettre en valeur (la progression du récit aura toujours eu un mal fou à sortir des sentiers battus au final). Mais "Malignant" apporte avant tout la preuve que le cinéaste, tout en conservant le talent indéniable de sa mise en scène et son esprit de sale gosse adepte du twist extravagant, peut aussi y mêler des tonalités d'horreur plus adultes que celles dans lesquelles il s'était laissé enfermé un peu trop rapidement.
Non, James Wan ne semble pas avoir tout dit dans le domaine de l'horreur et c'est tant mieux, il faut bien reconnaître que les "Malignant" qui nous surprennent autant en la matière restent une denrée rare actuellement.

RedArrow
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le 3 sept. 2021

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