Tout biopic devrait donner l’envie de connaître, mais vraiment connaître le biopiqué, et l’impression concomitante de l’avoir toujours connu et aimé. Hélas, les biopiqueurs, peut-être transis devant leurs sujets, donnent presque toujours à voir la lettre et non l’esprit, car ils regardent le doigt, et non… la lune. Milos Forman, c’était autre chose, il appelait Mozart Amadeus. Et d’esprit, avec majuscule et minuscule, il va beaucoup être question dans The Man on the Moon.
D’Andy Kaufman, je ne connaissais que sa réputation d’iconoclaste. Je suppose que ce qu’on voyait d’abord chez lui, et ce qu’on adorait ou détestait en lui, c’était ça : un côté grand enfant potache, irresponsable, mégalo et provocateur, le goût du scandale fracassant et du canular hénaurme, une sorte de one-man Charlie-Hebdo à l’américaine. Et le film ne lésine pas là-dessus. Mais ces aspects-là, c’est la lettre. L’esprit se situe au-delà.
Au cours d’un prologue sobre et étrange, un Man on the Moon en noir et blanc mi-sournois, mi-débile vous prévient que le film est nul et que d’ailleurs il est fini, il insiste, il jure que c’est vrai, le film est nul et il est fini, partez, nul et fini, juré, craché par terre, partez, partez. PAUSE. Vous êtes toujours là ? Parfait, je voulais juste chasser ceux qui ne voient en moi que le côté grand enfant potache, irresponsable, mégalo et provocateur, le goût du scandale fracassant et du canular hénaurme, le one-man Charlie-Hebdo à l’américaine. Le film va commencer, et il est génial.
La vérité est toujours ailleurs. C’est et ce n’est pas. C’est ça qui est drôle. C’est ça, l’esprit. Exit « Andy Kaufman ». Le film peut commencer. Meet Andy.
Andy est un homme dont l’humour est inséparable de sa vision du monde. Andy est un homme dont la vision du monde est inséparable des phases changeantes de sa planète. Il faut dire qu’en astrologie, la Lune est considérée, un peu péjorativement, comme la planète de l’illusion. Donc Andy naît sous le signe de la versatilité, de l’instabilité, de l’insaisissabilité. Son trip à lui, c’est de vous dérouter, de vous faire perdre vos repères, de vous retirer un par un les saints auxquels vous vous vouez, de faire de tout le monde les dindons d’on ne sait même plus quelle farce, et derrière l’hénaurmité, le jusqu’au boutisme. Ainsi Tony Clifton, sans doute un de ses canulars les plus célèbres, c’est trois fois rien au départ, une caricature, un ectoplasme, un dessin de Reiser. Mais il va littéralement s’incarner, et devenir le Mr Hyde mal embouché qu’il faut supporter pour avoir un gentil Dr Jekyll dans sa sitcom. Puis Tony devient incontrôlable. Puis Tony devient autonome ! C’est Andy et ce n’est pas Andy. La vérité est ailleurs.
Andy faisait partie d’un groupe de méditation transcendantale, et c’est le seul aspect sérieux de sa vie que Forman donne à voir (l’histoire d’amour est filmée peu et mal). Sans insister, mais sans équivoque, le cinéaste le montre comme digne de respect. C’est important, car l’humour d’Andy est inséparable de sa spiritualité. En méditant, il apprend ce qu’il pratique : l’évacuation du stress et, au-delà, le détachement du mental qui s’agite follement, tromperie après tromperie, illusion après illusion. Quand Andy demande s’il y a un secret pour faire rire, le gourou lui fait une vraie réponse. Et quand il est renvoyé du groupe, se pose une vraie question : ses excès et transgressions sont-ils incompatibles avec la discipline requise par la pratique spirituelle, ou Andy a-t-il raison d’arguer qu’il ne prend rien au sérieux justement parce que tout n’est qu’illusion ?
Le signe de la Lune, c’est le Cancer. Man on the Moon en est mort. Pourtant il était Capricorne. La vérité est toujours ailleurs. C’est et ce n’est pas. C’est ça qui est drôle. C’est ça, l’esprit.
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(Je m'aperçois que je n'ai rien dit de l'interprétation de Jim Carrey. Mais, à un tel niveau, peut-on encore parler d'interprétation ? Milos Forman a baptisé ses jumeaux Andy et Jim. Je crois que c'est exactement ce qu'il y a à en dire.)