Considéré par beaucoup comme représentatif de la quintessence du cinéma de Woody Allen, Manhattan est pourtant, sur bien des points, une œuvre atypique. Le splendide prologue concentre toutes ces contradictions : la ville filmée en cinémascope, le choix du noir et blanc, la musique de Gershwin : le film se pare d’un classicisme assez inattendu chez le new-yorkais intimiste et féru de psychanalyse.


Les plan sont larges, l’hommage à la ville sans concessions : dans sa diversité, par son immensité, par sa profusion et son activité aussi continue qu’enivrante, New York est le personnage principal du récit à venir. Pourtant, l’ajout d’une voix off qui tenterait d’écrire cet hommage nous donne accès aux coulisses du lyrisme, et permet à Woody Allen de rester en terrain connu. Tout le film jouera de cette ambivalence, de ce balancement entre la beauté plastique et la dimension intime, de l’ampleur d’une déclaration d’amour à une mégalopole doublée d’un focus sur les mesquineries touchantes des petits egos des protagonistes.


Manhattan est avant tout un film qui fait du cliché son sujet de prédilection. Certes, c’est avant tout une romance qui se voudrait on ne peut plus contemporaine, mettant en scène des personnages représentatifs de cet intelligentsia des 70’s finissantes, où l’on sur-explicite tout par le biais de théories freudiennes et à grand renfort de name dropping érudit. Les femmes sont fortes, entre une première épouse plaquant notre héros pour une autre femme, une Diane Keaton au verbe haut, indépendante et à la répartie infaillible, et la très jeune Mariel Hemingway qui coiffe pourtant au poteau le personnage principal en termes de maturité. Ce dernier reproduit bien entendu tout ce qui fait le charme de l’alter ego du cinéaste depuis une décennie : maladresse, complexes et névroses en pagaille, engoncé dans des situations malaisantes qui sont autant d’occasions de placer des répliques directement issues du stand-up.


Mais cette modernité s’adjoint donc d’un travail plus fin sur le lieu commun : celui, géographique, de cette fameuse ville qui ne dort jamais et propice à des plans scintillants, des virées en voiture et des plans de nuits mémorables ; celui, sentimental, d’un quatuor amoureux qui fait perdre de vue au personnage l’amour essentiel qu’il avait pourtant devant les yeux ; celui, enfin, cinématographique, qui fait de la comédie romantique son fer de lance, ne se refusant aucun topos, de la parade amoureuse dans un planétarium à la balade en calèche, en passant par le banc qui surplombe la skyline.


Sur ce terrain instable se construit tout le charme singulier du film : au sein d’un décor parfait, plastiquement sublime, l’imperfection des individus comme une chorégraphie bancale et touchante.
…et la prise de conscience, à rebours, que ce film annonçait – avec brio - le cinéma qu’est devenu celui de Woody Allen ces vingt dernières années : une série de cartes postales glamour d’époques et de villes différentes, sur lesquelles dansent avec plus ou moins de raideur des personnages enfermés dans l’inévitable névrose qu’est l’effort d’exister.

Sergent_Pepper

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