Prétentieux et inutile
Méli-mélo de récits new-yorkais, Manhattan Stories s’étale péniblement à travers des tranches de vie d’une banalité informe. Dustin Guy Defa est au four et au moulin, agitant des trames...
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le 19 mai 2018
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15h55, rue de Champollion. Je suis attablé devant un jus de pomme au bar le Reflet. En face de moi, le Reflet Médicis et ses portes vitrées ouvertes. Je crois reconnaitre Pablo, un ami, au guichet. Je consulte le programme. A 16 heures, on passe Manhattan Stories. Je n’ai aucune idée de ce que cela peut être. Chic alors, je constate que Michael Cera tient le haut de l’affiche. J’adore les séances de cinéma impromptues ; on se laisser porter par une œuvre de laquelle on ne connait rien que le titre et vaguement le casting. Il n’y a pas d’attentes particulières, rien. Je me vois déjà frimer en vantant les mérites de ce petit film américain indépendant, sorti incognito. Ce film, qui s’apparente à un feel-good movie en forme de chronique polyphonique, me promet donc d’embellir la fin de ma semaine. Je vais rire, me dis-je à ce moment. Première surprise alors que j’entre dans la salle de projection. Pablo n’est pas là. Je déchante un peu ; je m’assois parmi quelques couples de personnes âgées qui parsèment la salle. Bon ; il n’y a pas de raison que je ris pas, me dis-je à nouveau, il y a Michael Cera. Rien que la voix de Michael Cera suffit à faire au moins sourire. Et c’est bien la seule bonne intuition que j’aurais eu avant la vision de Manhattan Stories, un film choral qui ne prend somme toute absolument aucun risque tant il semble calibré pour que la moindre de ses répliques ou des situations cocasses qu’il met en place face mouche.
L’écriture pèse tellement sur la narration et les dialogues qu’ils en deviennent systématiquement énervant. Mais peut-être que l’agacement est dû à cette impression qui me taraude de m’être moi-même pris au piège, moi qui venait juste de redécouvrir le génial Magnolia, peut-être étais-je encore empreint de la béatitude dans laquelle m’a laissé cette épopée de 3 heures qu’arrive à parfaitement tenir Paul Thomas Anderson. Car l’idée d’un film organisé en vignettes, tranches de vie, est séduisante, dans la mesure où il s’agit d’une tentative de sublimer ce qui nous arrive à tous, inconsciemment, au quotidien. Que savons-nous de la personne qui se tient à côté de nous dans le métro ? Par quelles circonvolutions, par quels concours absurdes de circonstances peut-elle se retrouver liée à nous, d’une façon ou d’une autre ? En ce sens la volonté de Manhattan Stories est noble, car c’est une certaine forme de tentative de lettre d’amour qu’écrit là Dustin Guy Defa, le réalisateur. Une déclaration d’amour à l’essence même de la grande ville, objets de passions pour des grands noms tels que Woody Allen, qui en ont fait le terreau de leurs intrigues. Il y a quelque chose de profondément tragique à savoir que l’on croise des gens qui ont peut-être, on ne le saura jamais, une profonde incidence sur notre existence.
C’est à mon sens-là que failli le film. La mise en place du récit ne souffre d’aucune nécessité.
Lorsque deux trajectoires se frôlent, se rencontrent, s’entrechoquent, on se dit simplement : « et alors ? ».
C’est une journée qui commence comme les autres à Manhattan. Phil, incarné par Michael Cera, recrute Claire (Abbi Jacobson) dans son journal local. Ils partent à la chasse au fait divers, et tombent sur une affaire de suicide, ou de meurtre. Ils suivent la veuve (Michaela Watkins) et assistent à son étrange manège auprès d’un petit horloger sans histoire (Philip Barker Hall) qui se retrouve mêlé à tout cela. A cela s’ajoutent les trajectoires de Wendi et Melanie, deux jeunes amies mues par les habituelles problématiques des rapports et de l’attirance aux garçons, la première étant en plein questionnement sur son identité sexuelle. De l’autre côté, Bene et Ray sont colocataires. Bene, collectionneur de vinyles, part à la chasse à une rareté de Charlie Parker, avant de se voir roulé dans la farine. Ray de son côté, dépressif notoire, doit faire face à la vindicte de son ancien beau-frère qui n’a pas apprécié que Ray, dans le cadre d’une crise conjugale, publie des photos de sa sœur nue sur internet. Finalement, pour tous ces personnages, après de multiples péripéties qui les extirpent de leur confort et de leur quotidien, tout est bien qui finit bien. Cette résolution heureuse, trop heureuse, résume bien le parti pris du film, qui est justement de ne pas trop prendre parti, c’est-à-dire de rester à la surface des problèmes, pourtant très prometteurs et porteurs, je l’imaginais, de sacrées situations dramatiques, sans jamais aller trouver les personnages dans ce qu’ils ont de singulier, sans jamais aller franchement interroger l’impact que cette ville-monde a sur eux. Comme ses personnages, le film veut trop bien faire, il veut plaire, à tout prix, et l’on est d’autant plus frustré que l’on sent une certaine maitrise, une aisance certaine dans le fait de raconter ces histoires. Mais ceux qui tiennent les récits apparaissent comme des petites entités toutes pensées, toutes pesées, toutes cloisonnées. Sur le papier, aucun doute que cela devait être beau, et plaisant. Mais l’incarnation pose fondamentalement problème, sauf quand il s’agit d’humour. L’universalité du rire amène quelques séquences de grâce, comme lorsque le personnage de Michael Cera, grand amateur de Metal, fait écouter son groupe aux paroles de sauvages à la jeune stagiaire assise côté passager. Il y a là une dimension réflexive – compte tenu de la persona de Michael Cera, dont j’avoue ne pas trop savoir quoi penser. D’un côté, elle est savoureuse ; mais j’ai aussi le sentiment que ça n’est pas du tout là que le film se situe, et que donc il ne s’agit que d’un artifice œuvrant dans l’unique but d’une bonne réception du film.
Il n’y a pas vraiment de magie, de folie, de risque là-dedans. Toutes les effractions et les délits commis me sont à peine apparus comme tels. D’ailleurs, l’assassinat, pourtant centre névralgique de l’œuvre, n’est pas traité, et c’est assez symptomatique. Comme si le danger de mort et la nécessité profonde des gens à se rencontrer étaient constamment évités.
De cela découle paradoxalement une certaine inhumanité des protagonistes, et somme toute, un gout de « pas grand-chose » de nouveau sous le soleil de Manhattan. J’aurais peut-être été plus inspiré de rester dehors, histoire de profiter de celui de Paris.
Créée
le 19 juin 2018
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