Maps to the Stars reprend là où s’était terminé Cosmopolis. La société, son absurdité, sa consommation, sa chute vertigineuse dans l’auto-saturation reprennent vie dans une œuvre malade à la densité narrative évidente et à l’opacité visuelle oppressante. Cronenberg égratigne l’enclos familial dans un microcosme Hollywoodien vivant dans une réalité aux travers exacerbés. L’absurdité des mots (ou des maux) éclabousse l’excentricité des facéties hypocrites et opportunistes d’un monde autocentré sur lui-même à l’image de cette touche parodique d’une séquence montrant un rendez-vous autour d’une table entre producteurs et acteur pour discuter des problèmes de drogues de ce dernier. Délicieusement cynique est l’expression qui convient parfaitement à la nouvelle œuvre du réalisateur canadien.
Malgré ses thématiques perverses et dérangeantes qui hanteront l’entièreté de son film (l’inceste comme vecteur de signification de soi-même et métaphore de cet univers cloitré), Cronenberg ne tombera jamais dans un pathos plombant ni dans une quelconque empathie juvénile, se permettant même une drôlerie ironique ultra marquée. Il n’y ni bons ni méchants dans cet univers sans issue, juste un décorum amer et dépressif où titubent des freaks en quête de liberté. Mais cette liberté a un gout et surtout un prix, où les mystères ne pourront plus se dissimuler derrière ces visages défigurés par la hantise et la soif d’emprise. Hollywood n’est pas le théâtre des rêves, mais est une terre hostile à la parure incandescente. La plupart des personnages du film veulent avoir leur moment de gloire, comme ce chauffeur un peu simplet (très bon Robert Pattinson) voulant devenir acteur ou scénariste.
Deux «étoiles» sont au cœur du long métrage proposant deux prestations d’acteurs parfaitement cruelles: Benjie Weiss est un jeune acteur à succès ayant le rôle principal dans un blockbuster pour enfant qui a du mal à corroborer avec sa gloire envahissante et Havana Segrand (avec une Julianne Moore frivole et magnifique) est une sorte d’actrice complètement has been, sorte de diva parodique un peu vieillissante se raccrochant à son rêve le plus fou, jouer l’ancien rôle de sa mère dans un remake qui va bientôt être tourné. Cronenberg y démontre les fêlures d’une jeunesse disparue et éventrée, où la réalité du moment dans un cosmos de paillettes tranchantes et de gloire ironique essaye tant bien que mal de refaire surface, de faire cicatriser des plaies d’un passé tortueux. Beniie Weiss a perdu sa sœur étant plus petit quand celle-ci a voulu le tuer en l’intoxiquant. Havana dit avoir subie des attouchements sexuels par sa mère.
Une mystérieuse jeune femme brûlée aux visages et aux bras va faire son entrée dans le spectacle de leur vie, devenant même l’assistance personnelle d’Havana. Elle cache un lourd secret, qui aura des répercussions sur le jeune Benjie et la réalité monstrueuse qui unit ses parents. A partir de là, Cronenberg fait vaciller ses personnages à la personnalité psychologiquement instable avec des moments d’hallucinations anxiogènes : la mère de Havana qui réapparaît (la sublimissime Sarah Gadon), une fan morte de Benjie en habillée d’une robe de mariée. Tout en déconstruisant une à une les fondations familiales (la place d’enfant, l’humiliation, le pardon, le mensonge), Maps to the star est un film qui parle beaucoup d’Hollywood, de ses fantasmes macabres (la causticité morbide des dialogues entre jeunes acteurs autour d’un verre est saisissante), devenant un lieu où tout est permis, matérialisant tous les vices.
Dans Cosmopolis, chaque chose avait une valeur mathématique. Dans Maps to the stars, chaque individu à un intérêt envers chaque individu. Chaque dialogue, concis et millimétré aux mots près, est impressionnant, montrant avec précision le gouffre vertigineux de la communication dans une société au quotidien irréel. Chaque personne communique à une autre pour parler de soi-même et pour savoir si l’interlocuteur peut avoir un intérêt matériel. L’autre est une projection du monstre qui sommeille en chacun de nous. La société n’est plus une communauté mais un réseau. Scène la plus représentative du film est cette séquence où Havana fête en chantant et en dansant l’obtention de son nouveau rôle qu’elle vient d’avoir grâce à la mort d’un petit garçon. Glorification de la mort pour mieux s’approcher de celle de sa mère. Le passé prendra le pas sur la réalité, Maps to the Stars verra alors ses étoiles se fissurer, se consumer dans des flammes scintillantes où chaque personnage sera le pantin d’un scénario à la mythologie monstrueuse.