Remonter aux sources d’une filmographie d’un réalisateur inconnu avant un succès peut permettre de dénicher des secrets bien gardés du septième art ; mais cela peut aussi confirmer les raisons pour lesquelles il n’avait pas percé avant.
Kenneth Lonergan, à qui l’on doit le très réussi Manchester by the Sea, propose avec Margaret un projet qui peut sembler assez similaire : un récit long (2h30, et c’est peu dire qu’on les sent passer), une galerie de personnages de plusieurs générations, tous aux prises avec les douleurs de la vie. Au centre de l’intrigue, Lisa, adolescente interprétée par Anna Paquin, quasiment de tous les plans, quand elle ne laisse pas un maigre relai à sa mère et ses propres histoires de cœur (avec l’apparition totalement improbable d’un Jean Reno colombien, il faut s’habituer). Un incident malheureux la conduit à se considérer comme co-responsable de la mort d’une femme renversée par un bus. Le point de départ, très semblable aux intrigues d’Asghar Farhadi, joue des dilemmes moraux fondés sur la culpabilité et la logique de survie.
Kenneth Lonergan, visiblement dans la fougue juvénile de son écriture, semble vouloir absolument tout dire. Des études de Lisa, à grands renforts de débats scolaires sur la littérature, la politique ou la philosophie, aux arcanes du système américain qui indemnise plutôt qu’elle ne rend justice, de la sexualité au deuil, de l’avortement aux relations filiales, de l’incommunicabilité entre des êtres qui s’aiment aux tabous idéologiques, de l’Opéra à Shakespeare, 150 minutes semblent un speed-dating au vu des ambitions du scénariste.
Celui-ci tient pourtant, à plusieurs reprises, un véritable sujet. Dans la relation aux parents, notamment, où des conversations essentielles se font toujours sur le pas d’une porte, où interrompues par une autre personne au téléphone : c’est lorsqu’il dévie des enjeux proprement mélodramatiques, qui les désacralise pour la plus grande rage de l’ado que Lonergan est le plus convaincant. Ainsi d’une scène de dépucelage assez audacieuse et d’un glauque tamisé, ou d’une giffle de vérité tout à fait salvatrice durant laquelle une adulte dénie toute l’hyperbole constante de ce personnage qui semble avoir dramatisé toute sa vie, considérant son entourage comme une galerie de seconds rôle de sa pièce égocentrique. On pourrait y voir une réflexion sur tout le récit, et une manière de légitimer bien des excès de celui-ci.
…Malheureusement, ce serait un peu trop facile. Visiblement, les monteurs n’ont pas osé dire au réalisateur ce qu’il convenait de faire a vec toute sa matière, à savoir y tailler à la tronçonneuse. La simple longueur des scènes de transition, qui se contentent de filmer la ville ou des passants dans les rues, dépasse l’entendement. Les intrigues secondaires (le pan judiciaire et les dialogues totalement ratés avec les divers avocats, la coucherie avec le prof, les apparitions longuettes et déconnectées de Matt Damon ou Broderick, la rencontre avec l’hidalgo, sa mort complètement superfétatoire, et j’en passe) desservent considérablement le récit qui s’effondre sous ses pesanteurs annexes, au détriment de Paquin elle-même, qui à sa énième explosion verbale, irrite plus qu’elle n’émeut.
Les intentions étaient louables, et le cœur de la réflexion pertinent : nous embarquer avec une ado qui croit que sa fraicheur fait d’elle un être encore pur, alors que sa naïveté la mène elle aussi à se fourvoyer (encore un exemple : pourquoi avoir explicité cette idée dans un débat entre élèves ?). Mais les maladresses dynamitent totalement le projet, qui manque de mesure et de lucidité.
On pardonnera Kenneth Lonergan pour qui la maturité a du bon : Manchester by the Sea semble avoir clairement tiré les leçons de ces erreurs.