Marlina la tueuse fait partie de ces films surgis de nulle part, et qui honorent la quête du cinéphile en mal de fraîcheur.
Soit la destinée d’une indonésienne qui ne demandait rien à personne, tenant sa maison sous l’œil momifié du cadavre embaumé de son mari en plein processus de deuil, jusqu’à l’arrivée de brigands profitant de son absence de protection.
Un tel résumé pourrait s’appliquer à un film de Peckinpah, et, d’une certaine manière, la vision donnée des mâles rejoint sur bien des points ce modèle. Mais en ce qui concerne le traitement formel, les antipodes ne sont pas que géographiques. Mouly Surya s’inspire clairement de l’esthétique japonaise par des plans fixes au cadrage impeccable, alternant entre des intérieurs dans lesquels la violence surgit avec lenteur et s’installe dans une intensité insolite, et des extérieurs sublimes pour un road trip tout aussi atypique.
La bande son, entre Morricone et mariachi, souligne l’autre influence de cette fable : le western, qui prend des allures clairement féministes au vu du portrait à charge proposé des mâles : pères pleutres, lubriques, brutaux ou jaloux, ils sont les boulets en supériorité physique que la femme doit gérer pour avancer malgré tout.
C’est dans sa capacité à allier des tonalités et rythmiques contradictoires que le film séduit le plus : la cinéaste parvient en effet à combler la farce et le gore (les décapitations sont particulièrement poétiques), le récit moral et le road movie fantastique au fil duquel un homme sans tête suit la protagoniste en jouant de la guitare. L’aspect du conte est renforcé par une atmosphère hors du temps : seul l’usage d’un téléphone portable indique le caractère contemporain d’un récit qui pourrait sinon tout aussi bien se dérouler il y a un siècle. Quelques éléments de la société indonésienne nous parviennent ainsi, sans qu’on ne cherche jamais à virer à la portée documentaire : il n’en reste pas moins que l’ordre établi phallocrate prend cher, et que cette virée dans un décor aussi exotique que splendide montre aussi l’envers du décor, celui du rôle réel, structurant et essentiel, mais silencieux, des femmes.
La photo est superbe, la lenteur toujours justifiée, et ponctuée de saillies de violence qui génèrent une tension originale : tout est possible dans ce parcours où l’héroïne ne cille jamais face à l’adversité.
Cruel, esthétique, atypique, jubilatoire : puisse Marlina, nouvelle figure du girl power, faire le tour du monde.
(7.5/10)