Une certaine idée de la sauvagerie
Tension, effroi, dépaysement malsain, gratuité, dégoût, régression déviante : Massacre à la tronçonneuse, le commencement offre tout ce qu'on peut attendre de plus simple et cynique d'un film d'horreur. Il a le goût d'une première expérience dans le genre et l'a logiquement été pour beaucoup d'adolescents puisqu'il a été massivement diffusé, grâce à son statut privilégié : prequel d'une des sagas les plus connues du cinéma d'horreur et promettant le plus ouvertement de tailler sec et fort.
Sixième opus de la franchise Massacre à la tronçonneuse, Le Commencement se situe avant les événements exposés dans tous les autres opus (Texas Chainsaw 3D compris). Il présente la généralisation des activités meurtrières de Leatherface à sa famille, dont on apprend que c'en est une d'adoption. Celle-ci vit dans les décombres d'une ville morte sur laquelle elle étend son emprise, notamment en récupérant le titre du shériff ou les commerces laissés à l'abandon.
Dans le premier Massacre, la famille n'a pas d'identité véritable. On découvre une équipe irréelle, digne d'un cartoon mais premier degré, dont les mœurs et l'état de décomposition (moral, physique et intellectuel) avancés heurtent l'esprit. Dans les suites, notamment Massacre 2 et 4, c'est une famille déjantée, digne d'un cartoon parfaitement premier degré. Dans la seconde vague ouverte par le remake et dans laquelle Le commencement s'inscrit, cette famille relève du glauque véritable, anxiogène et sans appel. L'humour reste présent mais sa coloration a changée et plus aucune complicité n'est possible avec le spectateur.
De leur côté, les deux frères en partance vers le Viet-Nam et leurs deux amantes sont des personnages assez faibles (comme les autres – les motards, à l'inadéquation assez pittoresque elle aussi) et potentiellement pénibles, mais rapidement soumis aux contingences malades. Leurs impératifs suffisent à transcender toute considération sur leur caractère et l'attachement pour eux se développe naturellement, ce qui distingue le film de beaucoup de ses congénères.
Il est possible qu'un clin-d'oeil aux ébats politiques de l'époque existe dans ce film, puisque le rappel au patriotisme de papa et à l'âme du Texas ont tendance sinon à cibler Bush, au moins à caricaturer ce que seraient ses partisans les plus sordides. Le point de vue relèverait dans ce cas de la haine du peuple de l'Amérique profonde, affiché commme en rupture avec la civilisation, tout en viciant les grands idéaux américains par un intégrisme de rustauds. Mais les concepteurs du Commencement ne sont pas dans la complexité et ne font que recycler un avatar bien ancré dans l'imaginaire collectif pour donner un spectacle aussi sordide que l'imagination conventionnelle peut l'engendrer.
Le remake de Massacre et la seconde vague qui en découle sont produits par Michael Bay et cherchent clairement à présenter la marchandise, sans le moindre jugement ou principe. Le remake avait une certaine élégance sur le plan purement physique et Le commencement partage avec lui la qualité de la photographie. Tous les éléments typiques de l'horreur sont là, les teintes bleuetées abondent, mais le soin et l'efficacité compensent ce dogmatisme. En d'autres termes, c'est du travail bourrin de qualité.
Tandis que la famille tisse sa toile et monte sa petite entreprise, Jonathan Liebesman et ses collaborateurs mettent au point un spectacle équivalent à la folie. On peut se sauver en riant de la dimension burlesque et ubuesque de cette histoire, mais c'est l'horreur portée à son degré le plus complet, sans fantaisie. Le Commencement se place juste avant l'esprit Guinea Pig (saga de films ultra-gores japonais dont les premiers opus passèrent pour d'authentiques snuffs).
Quand Hollywood se permet de faire agoniser l'Humanité sous les yeux du spectateur, elle livre quelque chose de peu profond, mais de redoutable. La scène d'exposition l'annonce par son record dans l'atrocité (une variation sur le thème de la naissance du Mal). Elle est gore, malsaine, etc : dégueulasse surtout. Elle affiche l'Humanité la plus vile, induit ses protagonistes dans une ivresse nihiliste assassine pour bien des individus, malgré son caractère irréfléchi. Il n'y a pas une seule zone de subtilité, mais une radicalité vivifiante et appropriée dans le domaine. Ce Commencement est extraordinairement violent : c'est le plus violent de tous les opus.