Par Louis Blanchot
Ce n’est pas la première fois que Corneliu Porumboiu soumet son regard aux aléas d’une retransmission télévisuelle. Il y a huit ans, déjà, son 12h08 à l’est de Bucarest dupliquait la forme ingrate et bancale de la petite lucarne, en ajustant sa mise en scène à celle d’un talk show miteux : un speaker s’y faisait piéger par sa propre enquête, et un caméraman à la masse s’avérait incapable de cadrer convenablement. On sait ce qui, dans le dispositif télévisuel, intéresse le cinéaste : c’est la vérité sortant contre son gré. Cette vérité qui, prise dans l’étuve cathodique, s’échappe et jaillit telle un lapsus. Arme à double tranchant, la télévision est autant un outil de propagande qu’un détecteur de mensonges : stérile et sous contrôle, l’écran ne manque pourtant jamais de négliger à sa surface l’empreinte de ce qui, spécifiquement, entendait être caché, comme des bombements à travers un rideau. Et si les images qui, hier, relayaient la propagande, servaient aujourd’hui à dévoiler son envers ?
Ici, et pendant près de 90 minutes, on suit une retransmission du derby de Bucarest de 1988, opposant le Dinamo (le club de la police secrète) et le Steaua (le club de l’armée). Pour les joueurs, les conditions climatiques sont catastrophiques : un froid de gueux, de la neige en pagaille, un terrain qui vire rapidement au bourbier. Pour le spectateur, les conditions de projection s’avèrent tout aussi rudimentaires : image baveuse et granuleuse, son coupé. Ce match défilant sans interruption, on le suit du reste en même temps que Porumbiou et son père qui, tranquillement réunis au foyer familial, commentent ce duel placé sous haute surveillance, et dont l’arbitrage, justement, avait été à l’époque mené par le patriarche.
Le film s’appelle Match retour, mais il eût certainement mieux fait de s’appeler « Mauvais départ ». « Mauvais départ » parce que, pour le coup, on met pas mal de temps à trouver la porte d’entrée de ce bavardage familial sur fond de football total et de chute de Ceausescu. Ce temps, c’est évidement, et d’abord, celui de l’événement : le match nous est présenté de façons brute et délavée, sans la moindre opération de remontage. Symbole d’un bloc soviétique à l’agonie, en lutte contre soi-même et les éléments, la confrontation se soustrait graduellement à tout impératif de lisibilité (à cause de la neige, le ballon devient indiscernable) et à toute dimension spectaculaire (aucun but) pour se réduire à un strict engagement humain, une lutte mêlant acharnement et résignation.
Mais ce temps, c’est surtout celui, live (pas le moindre découpage sonore, la conversation se fait au gré des hésitations et des silences), de la pensée de Porumboiu, qui se résout progressivement à abandonner la petite radiographie politique qu’il mijotait dans son coin, pour recroqueviller son projet sur quelques idées directrices plus ténues. Hypnotisé par le match, sidéré par la perfection technique des transmissions malgré la Bérézina climatique, le cinéaste lâchera peu à peu du lest sur le terrain de l’interrogatoire. D’où un contraste assez troublant entre un commentaire décousu, hésitant, de plus en plus laconique, et des joueurs qui, sur le terrain, se livrent à une bataille héroïque continue. (...)
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