On ne peut pas réellement reprocher à Matrix Revolutions d’être l’opus de trop : dès la mise en chantier de la suite du premier, les deux volets ont été imaginés par les Wachowski, et la conclusion de la trilogie est pour elles un aboutissement pensé en amont.


Le personnage de Smith peut être considéré comme une métaphore de leur univers, dont les intrigues se ramifient, les nouvelles portes s’ouvrent en continu, les maximes se dupliquent et la pensée ne peut s’empêcher de s’affirmer tout en préservant le désir farouche de rester opaque. La ligne directrice du récit est virale : elle se propage, se laisse contaminer avec une facilité désarmante par tous les invariants du blockbuster, sans jamais perdre de vue les ambitions messianiques, philosophiques ou existentielles déjà formulées depuis le début. L’amour, la foi, l’espérance, toutes ces notions que le programme Smith conspue, resteront la matière première éculée et le moteur des protagonistes. Le déluge de balles, de pluie, de feu et de tentacules métalliques fera le reste.


Matrix Revolutions est une gigantesque boursouflure qui s’assume, une épopée numérique et un manga apocalyptique, un combat de super-héros qui flirte en permanence avec le ridicule tout en jouant avec les hyperboles et la démesure propre à tous les genres qu’il convoque. Tous les défauts éreintants du blockbuster sont ainsi présents, que ce soit dans ces petits héroïsmes individuels au milieu du grand combat, ces discours de galvanisation des troupes ou l’éloge poussif des faiblesses humaines qui font nos forces ; sur le terrain de l’action pure, la grande bataille aboutit à une ratatouille de CGI assez indigne, qui confond longueur et puissance.


En réalité, tout a été dit depuis bien longtemps, et la trajectoire du Néo Christ ne fera de mystère pour personne. Les récits en parallèle semblent presque tous chercher à faire durer, à l’image de cette attente du train qui résume parfaitement la situation : donner l’illusion que le surplace est le gage d’une leçon philosophique, où l’on nous apprendra que même les logiciels connaissent l’amour et les joies de la parentalité. Les hautes instances passent quant à elle leur temps à expliquer que ce qui n’était pas prévu était le destin, et on enchaine sur la suite d’événements qui se voudraient riches d’enseignement avec une indifférence croissante.


Tout n’est pourtant pas perdu. En renouant à quelques reprises avec la vigueur du premier volet, les sœurs se montrent toujours efficaces : la scène de fusillade dans le sous-sol, qui semble une redite assez nette de celle du hall et ses colonnes de marbre dans le premier volet, offre une variation jubilatoire dans la capacité des antagonistes à marcher au plafond. De la même manière, la mise en place du combat final se permet toutes les excentricités expressionnistes (bâtiments démesurés, duplication infinie des silhouettes) avant de sombrer dans une animation très cartoon.


Les cinéastes seront restées fidèles à leur projet, au risque de n’être pas suivies. Leur expérience suivante, Speed Racer, poussera encore plus loin cette posture qui reste tout à leur honneur : poursuivre à toute vitesse une forme pure.

Sergent_Pepper
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le 22 déc. 2021

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Sergent_Pepper

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