Maudite soit la guerre sort en mai 1914, deux mois avant le lancement de la première guerre mondiale (fin juillet). Il est centré sur un tandem de pilotes, amis devenant officiellement ennemis à cause d'une guerre (imaginaire) impliquant leurs pays (non-cités). Une femme, sœur de l'un et amante de l'autre, s'ajoute à cette relation et les relie encore après leurs morts. Le film met en évidences les ravages de la guerre au mépris des exigences présumées de l'Histoire. Il ne réfute pas les arguments des camps : il ignore carrément une telle notion. Maudite soit la guerre est donc pleinement pacifiste, évoque des disparus et des vie brisées, pas des héros.
Il entre en contradiction avec les propagandes d'état et les mythes militaristes, ce qui ne l'a pas empêché de connaître un certain succès en son temps et de réunir des capitaux importants (avant de devenir peu recevable à cause des circonstances de plus en plus sombres – 'la fleur au fusil' propre à la Belle Époque, dont l'enthousiasme caractéristique se voit ici, notamment face aux progrès techniques). L'armée belge a fourni l'essentiel de ces gros moyens. Le film utilise des ballons dirigeables et planeurs lors de scènes pyrotechniques, exhibe des outils de combats qui serviront quelques semaines plus tard. La mise en scène est très 'moderne' et atteste du talent d'Alfred Machin, un des premiers 'patrons' du cinéma belge (qui était à son apogée en 1913-14, avec La fille de Delft, Au ravissement des dames ou encore Le diamant noir – autant de longs-métrages d'environ une heure).
Quelques points techniques distinguent le film, comme la simulation de vue à bord d'un appareil ou, plus commun, un split screen (raffiné, pas établi 'bloc contre bloc'). L'image colorisée (en majorité) à la main est l'atout le plus immédiat. Il reste le plus éloquent quand le film est décontextualisé, vu cent ans après ou simplement vu après Peckinpah (Alfredo Garcia, Pat Garrett). Car la violence dans Maudite soit la guerre reste invisible en ce qu'elle a d'humaine. Les dégâts humains physiques sont également hors-champ. La violence concerne les engins sophistiqués. Le siège du moulin montre un maximum d'égratignures et c'est pour le moins timoré. Le message saura donc prêcher les convaincus, le penchant mélodramatique pourra atteindre quelques cœur ou esprits ouverts. En revanche sur le plan viscéral ou même sur celui de la raison, l'exercice est plutôt stérile.
Ce film a toutefois une qualité réaliste et sensible digne d'un Rossellini (Rome ville ouverte, Allemagne année zéro, Europe 51) 'light' et pudibond, décuplée lorsque la femme jouée par Suzanne Berni est sortie de son quotidien. Sa conversion finale rapproche de l'expressivité cinglante du Moulin maudit (1909), où Machin figurait l'ampleur de la folie du protagoniste. Vers 2013 le film profite d'une restauration par la Cinémathèque royale de Belgique et est promu comme visionnaire, comme s'il avait 'anticipé' le conflit et son déroulement, ce qui est une fadaise. Maudite soit la guerre (War is Hell pour les anglo-saxons) est aussi le nom d'un court de Feuillade (1910), l'auteur des serial comme Fantômas et Les Vampires.
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