Téléfilm réalisé pour la télévision danoise en 1988, Medea est de ce fait moins connu que les longs tournés à l’époque par Lars Von Trier, comme Epidemic ou Element of Crime. Dix-neuf ans après la représentation de cette héroïne de la tragédie antique par Pasolini (Théorème, Salo), Lars prend à son compte un scénario de Dreyer et Preben Thomsen qui n’avait pas été porté à l’écran.
D’un point de vue stylistique, Medea réussit l’exploit de surpasser en radicalité Epidemic ou Element of Crime. Pour parer à son manque de moyens, Lars Von Trier a trouvé des subterfuges inventifs. Il sur-utilise l’effet soft-focus, emploie des lumières crues, supprime quasiment les profondeurs de champ lors de certaines scènes mettant en avant un ou des personnages. Medea y gagne une aura d’incursion en territoire au-delà ou en-deçà du réel, lui échappant en tout cas.
Même par rapport à la trilogie de l’Europe alors en cours (elle s’achèvera avec Europa en 1991), Lars met au point un objet à l’allure invraisemblable. Outre son caractère somptueux, Medea a l’avantage sur ces films par une esthétique plus complète : c’est notamment ici qu’apparaît la première martyre von trierienne, dix ans avant que Bjork et Emily Watson, puis Nicole Kidman et Charlotte Gainsbourg (Antichrist et Nymphomaniac) en fassent une figure obligée chez le réalisateur.
La Médée de Von Trier est l’un des meilleurs avatars de son univers mystique : il fait de cette femme une enfant souveraine de la Nature, une force destructrice surnaturelle, dont l’âme rayonne sur l’univers physique. En terme de matière comme de beauté, Medea est un opus particulièrement accompli de l’oeuvre de Lars et un produit incomparable, peut-être un mix de Persona et Haxan pour situer. Toutefois, ce que Lars perd ici en lourdeur, il le gagne en opacité (ce n’est pas Begotten, mais c’est déjà au moins au niveau d’Eraserhead) sans omettre les stases parfois harassantes.
https://zogarok.wordpress.com/2015/01/11/medea/