Un film qui m'a beaucoup marqué dans le fait qu'il résonne comme un coup de poing, une sorte d'attaque en règle contre la bonne pensée actuelle. Nous sommes encore dans une volonté de montrer la face cachée mais réel de la jeunesse d'aujourd'hui. Luca Guadagnino a ici mis en scène un sujet osé et risqué : la prostitution des jeunes filles. A travers des personnages attachants et parfaitement interprétés, le réalisateur parvient à faire exister cette jeune fille en proie à ses désirs, sans trop tomber dans un voyeurisme nauséeux. Tout commence banalement : Melissa est une jeune ado de 15 ans qui tient un journal intime où elle confie les tourments de chaque fille de son âge : volonté d'être populaire, de sortir avec le plus gars du lycée, pouvoir franchir le cap de la "première fois". Lors d'une fête privée organisé par ce gars populaire elle voit ici l'occasion enfin de lui dévoiler ses sentiments ; et comme la belle princesse ingénue elle succombe à la demande de ce garçon pervers, à devoir lui faire une petite gâterie si elle veut pouvoir le côtoyer... Ainsi commence la route cauchemardesque de Melissa qui , pour se venger de cette humiliation elle voudrait se revendiquer en femme libérée et insensible aux garçons quite à se perdre elle-même dans une spirale sexuelle de soumission et perverse jusqu'à vendre son propre corps.
Le ton de l'intrigue peut rappeler le film teen-américan "Thirteen" par Catherine Hardwicke où les deux héroïnes sont à la recherche de leur identité et découvrent à travers les interdis le monde adulte.
Mais"Mélissa P" se démarque beaucoup par son ton très réaliste et dramatique. Les scènes sexuelles crues sont ici pour appuyer les désirs, les souffrances de notre héroïne faisant parti de son chemin initiatique.
Ce drame qui peut se décrire comme l'éclosion d'une nouvelle vie, emmène le spectateur vers un monde obscur, au sein d’une jeunesse italienne où les plus sombres désirs phagocytent une frange de la population. Et cette partie, décrite avec pudeur par le réalisateur, permet de mieux comprendre l'horreur des situations dans lequel certains jeunes sont embarqués. Cela ne l'empêche pas d'insister sur la noirceur des figures masculines, entraînant cette pure jeune fille vers les sombres allées de ses perversions, sans qu'elle ne puisse en réchapper. En effet, Melissa est élevée dans un cocoon familiale exclusivement féminin composée de sa mère et sa grand -mère avec qui elle partage une complicité sans borne. Cette base familial sera aussi le fil conducteur de du mal-être de l'héroïne : ses disputes et déchirements avec sa mère, sa grand-mère souffrante se doit d'aller vivre dans une maison de retraite laissant l'adolescente avec ses démons et sans figure de "sagesse pour la guider". Les figures masculines sont représentées comme dégradantes, et mauvaises. Les hommes sont représentés comme des pervers sexuels, dérangés, irrespectueux des femmes et de leurs corps que ce soit les garçons de sa classe ( hormis le nouvel élève un peu artiste qui jouera un rôle à la fin du film) , les professeurs et les autres...
Ce qui peut déranger dans ce film c'est peut être la crudité des situations : on est vraiment dans la recherche d'un sentiment de dégoût et de révolte de la part du spectateur. Voir l'héroïne acceptée des plans "tournantes" les yeux bandées où elle livre son corps à un groupe de mâles en chaleur, faire plaisir à un inconnu derrière un mur... cela peut certainement choquer certains et trouver ça vraiment dans le "too much" et le irréalisme.
Cependant le scénario binaire du film vient se greffer une mise en scène à deux vitesses, qui alterne idées ambitieuses et moments d'une accablante platitude. L'aspect visuel est très travaillé, avec un soin tout particulier apporté aux couleurs et aux cadrages. L'absence d'hypocrisie dans le traitement du sexe (avec des ellipses moins intrusives qu'on aurait pu le craindre) est également appréciable , introduisant ainsi certaines reflexions sur les adolescents d'aujourd'hui : l'accès facile aux "tchat sex" , le besoin de se faire une place dans les groupes quite à brûler les étapes,la banalisation des rapports " amoureux",l'importance du sexe dans l'accomplissement de son image sociale et personnelle, le besoin de reconnaissance...
La place des jeunes femmes modernes est clairement évoquée : être libérer sexuellement, se revendiquer libre en se soumettant au plaisir des hommes sous des faux semblants de femme insensible et libertine, construire nos relations avec les hommes sur le plaisir de la chair au détriment des sentiments, fait-il de nous des femmes indépendantes et respectées par une société encore stéréotypée et exigeante ?
Ce qui m'a cependant dérangé c'est que le film n'évite pas parfois les clichés guimauve et bien-pensants des intrigues sentimentales, en particulier au cours d'un dernier quart d'heure dégoulinant de musique heureuse, de halos de lumière entourant les personnages et d'embrassades rassurantes. Difficile de croire à la crédibilité de ces scènes, et par ricochet à celle des passages sulfureux qui précédaient tellement ces derniers paraissent sortir d'un autre film. Cela ne colle pas du tout à l'ambiance générale du film, et que des telles expériences laisse des traces indélébiles sur une personne. ( la fin trop guimauve plonge le film dans un final plat et incompréhensible... pas de moral percutante mais qu'on peut essayer cependant de s'en formuler une).
Encore une fois , on nous montre que le cinéma italien et espagnol sont les meilleurs dans la manière de traiter les sujets les plus taboos et révoltants de notre société.
Je conseille ce film pour la puissance du sujet qui est traité et pour la finesse de sa mise en scène percutante et convaincante !