C'est sans doute la démonstration la plus pesante, glauque et opprimante de son réalisateur, mais c'est une première oeuvre ou presque, "Le suiveur" étant plus ou moins un brouillon, une de celle passionnée et inaltérable qui reste gravée du sceau de la découverte et une qui n'est pas encore outrageusement mécanique. Si, si, vraiment. Il ne s'agit au fond que de procédé narratif comme simple jeu de l'esprit. Se passionner pour le mécanisme du film semble donc la clé primordiale pour entrer dans un Nolan, celui-ci en particulier. Sinon donc, c'est de la masturbation... Mais quelle Mixture, à peu près l'opposé de la masturbation d'un Stalker...
La première fois en 2000, c'était simplement l'hallucination. Avec ce film, je suis parti découvrir ce que l'on pouvait dire d'un film sur internet. Je me suis même inscrit sur Allociné pour y écrire mon seul et unique commentaire : "la crème de la crème !!"... Complètement hypnotisé par le procédé de montage inversé qui permet de vivre le chaos total dans lequel évolue Lenny. On est avec lui à 200%. On espère pour lui, on tente naïvement de se raccrocher à sa logique même si on voit bien que le garçon pédale gravement dans la semoule. On se met à psychoter, le moindre instant sert de clé pour nous extraire de sa condition et finalement le regarder dans toute sa splendide absurdité, lui, son apparence équilibrée et ses tatouages. Je serais même presque prêt à remercier Torpenn de bien appuyer sur la vacuité totale de l'histoire et des personnages, point on ne peut plus récurrent dans tous les Christopher Nolan, que ça ne changerait rien au fait que ce film reste une bombe.
*****gros spoiler*****
En fait, tout le scénario ne tient qu'à la phrase écrite sur la première photo, et c'est tout. Le flashback en devient objectivement lourd dans son effet appuyé de séparer les deux personnages, un simple effet qui n'a servi qu'à vaguement brouiller la piste. Mais...
*****gros spoiler*****
Ce n'est pas comme un Shyamalan où tout repose sur le fameux twist final. Ce qui est bien (ou pas) avec Nolan, c'est ce concours de twists à différentes échelles du scénario. Tu aimes les twists, tu vas manger. Je n'aime pas Inception, son appropriation fascisante du rêve et sa cohorte d'explications ronflantes. Memento est pourtant exactement pareil de bout en bout. Tout est constamment ré-expliqué, revu en détail, même la maladie est finalement assez grossièrement utilisée, mais l'idée de perte de mémoire immédiate vécue grâce à un montage inversé, sans compter que la partie à l'endroit rejoint la partie à l'envers. ça tabasse. C'est simple et bluffant. Toute scène devient surprenante, jamais vue avant, aussi noire, dépressive et presque anecdotique à l'endroit que déstabilisante, fraîche et explosive à l'envers. Même si le réalisateur se met à tourner gravement en rond dans ces procédés, uniquement concentré sur sa mise en scène et son montage, il suffit d'écouter le commentaire audio pour s'en convaincre, je lui reconnais une grande maîtrise, une capacité à filmer des perceptions inexplorées au cinéma, une rigueur de mise en scène et un sens du montage chirurgical capable de tout porter.
En 2000, j'étais (encore) beaucoup plus naïf, j'avais vu Matrix, et retrouver Carrie-Anne Moss et Joe Pantoliano, c'était déjà bien (je ne connaissais rien au film avant de le voir). Si en prime, l'acteur principal était au moins aussi présent qu'un Keanu Reeves ou un Christian Bale* avec une bande originale minimaliste ambient sublimement oppressante, il n'en fallait pas davantage pour plonger.
Après avoir vu Memento à l'endroit puis à l'envers, donc à l'endroit, puis revu et rerevu à n'en plus finir, il garde une belle patine, une solidité propre à lui et quelque chose d'absolument unique qu'aucun bougon barbu ne pourra démonter.
*Ce ne sont peut-être pas de grands acteurs mais ils sont toujours très engagés dans leur rôles importants, au moins physiquement.