Les films "omnibus, des anthologies de sketch/ courts métrages, sont des formules complexes pour le chef de projet et pour le spectateur. Surtout quand le seul fil rouge entre ces micro-films d'animation n'ont que pour seul point commun leur auteur. Surtout aussi lorsque chacun des morceaux du film représente un moyen métrage, qui prend le temps de poser une certaine ambiance et d'imposer un style radicalement différent. Il devient complexe de changer d'univers et de s'immerger dans des scénarios différents et denses. Si des films comme Groom Service réussissent à s'apprécier malgré des ambiances, des tons et des thématiques différentes, c'est grâce à un décor commun (un hôtel), qui suffit comme fil rouge. Sans parler de The French Dispatch, grande réussite de ce genre de films. Si des séries comme Love Death and Robots réussissent à s'apprécier c'est grâce à des courts métrages de durées plus courtes qui peuvent s'enchainer, néanmoins séparés les uns des autres par le format à la demande qui permet de prendre son temps entre chaque univers présenté.
Memories est donc un film qui englobe trois moyens métrages dont l'origine est le manga de Katsuhiro Ōtomo, l'auteur d'Akira. Si on ressent bien le goût de l'auteur ; des questionnements sociétaux et des thématiques sur la technologie et la biotechnologie, un attrait sur les misères de notre condition humaine ; les trois morceaux sont très disparates. Magnetic Rose est un scénario de science-fiction psychologique lié à une technologie qui permet de retrouver ses souvenirs, Stink Bomb est un scénario catastrophe au ton comique qui mise sur les manigances de personnages haut-placés pour arrêter un homme qui tue malgré lui après avoir ingurgité un médicament, Cannon Fodder est un scénario de satyre politique à la Orwell imaginant un monde hiérarchisé autour de la guerre, endoctriné contre un ennemi combattu sans contact visuel à l'aide de lances missiles. Encore que le premier scénario est remanié par le génial Satoshi Kon qui s'est approprié les thématiques de Katsuhiro Ōtomo pour changer l'univers narratif et visuel du moyen métrage. De même, ce sont des studios d'animation différents, réunis pour donner vie à ces univers très intéressants qui se sont attelés sur chaque moyen-métrage, en leur donnant à tous un aspect visuel impressionnant de technique. Les deux premières parties ont un style graphique de type réaliste mais des manières différentes de représenter les personnages et le dernier opte pour une direction artistique de type "crayonnée" (J'invente ce terme pas du tout technique). Autant dire que l'on est face à une mosaïque gigantesque, soignée mais qui ne fait pas unité lorsque l'on prend du recul, qui ne représente rien de défini. Et c'est donc ici que rentre en jeu mon goût, qui ne me permet pas d'apprécier pleinement un tel enchainement. Ca fait lourd et ca dessert. L'expérience peut-être stimulante pour certains, permettre un "shot" d'imaginaire. Mais si l'on veut rentre dans chaque univers, analyser, passer de l'un à l'autre devient fatiguant. Hormis la durée des trois parties cumulées , on ne peut pas parler de film.
Ce qui est dommage pour moi, c'est que pris indépendamment chacun des trois moyens-métrages est une réussite en tous points. Le deuxième bien que moins marquant globalement, est intéressant par sa légèreté et la singularité du visuel et scénario qui nous est représenté : l'odeur de cette assassin-victime tue tout sur son passage, chassé par des engins militaires et à la recherche d'une aide, laissant par son parfum fatal un enfer de fleurs derrière lui. (Autant le parfum d'un séducteur de Tv-novella que l'odeur d'un SDF finalement). Il est aussi intéressant par sa satyre des puissances dirigeantes comme des serpents qui se mordent la queue(inventer des armes pour faire la paix - le thème du nucléaire très Japonais et prisé par l'auteur - convaincre profondément des citoyens pour les duper). Le troisième est sur le papier et indépendamment très intéressant est magistral techniquement, mais sa position chronologique m'a empêché de l'apprécier pleinement et de me concentrer sur chaque détail. Sa position l'a alourdi. Pourtant le moyen métrage est un enchainement de trouvailles visuelles et de transitions qui donnent un effet de plan séquence réussi. Pourtant il profite d'une éloquence visuelle plus que dialoguée qui traite du sujet de vies individuelles sans sens dues à un endoctrinement en utilisant pleinement la science picturale de l'animation. Et enfin le premier scénario, que j'ai pu apprécier sans lourdeurs grâce à sa position, est un chef d'œuvre de science fiction. C'est une œuvre assez unique et qui doit son mélange d'univers à l'alliance Katsuhiro Ōtomo (influence Solaris) / Satoshi Kon (coté italien). Un space-opéra littéral, une incursion angoissante dans un navire spatial abandonné qui ne peut se défaire des souvenirs de son ancienne cantatrice propriétaire. A l'abandon dans un vide intersidéral , sans vie, les souvenirs perdent leur sens, enferment. La réalité se perd de vue et l'illusion devient réelle. Surtout avec l'aide d'un ordinateur producteurs d'hologrammes. Prenez garde à entrer dans cette zone, c'est ici que la la vie s'arrête. Thème cher à Satoshi Kon, le rapport de l'homme au réel et sa volonté de fuite de celui-ci vers l'illusion, les visuels rendent cette histoire touchante et sombre, cette cantatrice bloquée, frustrée, qui chante son passé glorieux dans un faux manoir délabré. Des paysages bucoliques avec des roses en fleurs qui se superposent à des paysages miteux cyber-punk. Un enfer avec des fleurs. On aura au moins trouvé un point commun.