Men est un film riche de promesses : qui connait le cinéma de Garland (Ex Machina et Annihilation) sait que le bonhomme a du talent à revendre, et son incursion dans le genre horrifique peut pousser à un exercice de style galvanisant.
C’est exactement ce qui se joue lors de l’exposition du film, qui suit la fuite d’une jeune femme dans la campagne anglaise, traumatisée par un événement nécessitant une mise au vert radicale. L’humour rustique de l’autochtone qui l’accueille plante un décor plaisant, et une balade en forêt va mettre en place une atmosphère admirablement construite, entre les terres fertiles de la résilience et l’effroi enfantin de l’inconnu, notamment lors d’une très belle séquence de jeu avec l’écho dans un tunnel à la profondeur démesurée.
L’étrangeté attendue prend donc des tours assez séduisants, oscillant entre un humour insolite (tous les habitants du village sont joués par le même personnage) et une inquiétude sourde, allié à une maitrise visuelle de premier ordre qui distribue habilement les espaces complexes de la trop grande demeure.
Ainsi s’achèvent cependant les promesses : les présentations ayant été faites, les comédiens s'avérant impeccables dans leur compositions, Alex Garland s’échine à déployer la syntaxe du film d’horreur, sans l’enrichir d’un semblant de rationalité. Le cauchemar convoque donc tout le cahier des charges, des apparitions furtives aux portes entrouvertes, des lumières qui s’éteignent et des poignées de porte qui bougent. Tout ceci pourrait s’avérer tolérable si le bonhomme ne s’enorgueillissait de considérer ces affèteries comme l’emballage symbolique d’un véritable propos. Car les bizarreries proposées (des sculptures de l’église filmées en ombre portée, la caméra entrant dans le globe oculaire du cadavre d’un cerf…) semblent dessiner un jeu de piste aux allusions cryptiques et une direction vers le folk horror qui vont forcément devoir converger vers le trauma originel. Garland pousse alors les curseurs dans le graphisme horrifique, s'amuse de mutilations diverses et des codes du body horror, entraîné dans une fuite en avant dont on finit par comprendre qu’elle sera dénuée de destination. Il rejoint ainsi ce club de plus en plus ouvert de cinéastes se vautrant dans la gratuité formaliste, dotés de cette naïve conviction que l’étrangeté ou l’horrifique explicite suffiront pour insuffler puissance ou force poétique à leur œuvre : Robert Eggers (The Lighthouse, The Northman) et Edgar Wright (Baby Driver, Last Night in Soho) en sont les exemples les plus récents. Mais ne désespérons pas : la série Devs, réalisée et écrite par Alex Garland, témoigne d’une capacité à mettre son talent au service de fiction autrement plus ambitieuses et complexes, et permet de renouveler les attentes pour la suite de son travail.
(4.5/10)