Il y a, dans « Mes provinciales », une certaine forme de lourdeur, presque caricaturale, due notamment à la forme extrêmement littéraire de ce dernier long-métrage de Jean-Paul Civeyrac. Mettant en scène les tourbillons de l’existence dans un Paris rendu sourd par un imperceptible noir et blanc, ce film, s’imposant d’emblée comme un digne héritier de la nouvelle-vague, dresse une écographie des cœurs brisés et de la sincérité des regards, nous immergeant dans la peau d’Étienne, un étudiant en cinéma fraichement arrivée dans la ville lumière. À travers cette caractérisation de son personnage principal, ici représenté comme un solitaire essentiel, Civeyrac en profite afin de plonger dans une profonde réflexion sur le cinéma, et notamment sur ce qu’il apporte en nous, aux autres, et comment l’expliquer. Forcément, cela a tendance à s’avérer didactique, mais parallèlement, on devine, devant comme derrière la caméra, une humilité, une élégance subjective et inexplicable. « Mes provinciales » ressemble à un cinéma comme on en fait plus, et parfois, on se surprend à s’imaginer devant un film des années 1970 (notamment via l’absence de la technologie), non loin des expérimentations d’un Georges Perec, ou de la proximité d’un Robert Bresson. Car au-delà d’une mise en abîme, il s’agit surtout d’un film de personnages, explorant avec lucidité l’intime et les relations humaines.
Nous parlions ci-dessus d’une prétendue lourdeur, mais il faudrait ajouter qu’il s’agit surtout du manifeste d’une véritable douleur, nichée dans chaque protagoniste. On le ressent notamment à travers le personnage de Mathias, camarade d’Étienne. Un tel protagoniste, il fallait du culot pour l’écrire, tant il est imbuvable. Néanmoins, nous nous attachons à lui. Pourquoi ? Parce que « Mes provinciales » n’est pas dans le jugement, mais observe, avec une simplicité sidérante, ses personnages exister, à travers leurs manières de penser, leurs amours, et surtout leurs contradictions, les saisissants de l’intérieur, bien au-delà d’un benoit teenage-movie sur-intellectualisé. Au bout d’un certain temps, ce qui nous passionne va bien plus loin que les intrigues romantiques, les trahisons, les rancunes, les retrouvailles. Car notre regard est petit à petit guidé vers leurs mouvements intérieurs, et leurs vies rythmées par l’écriture cinématographique. Au fond, ils sont tous atteints par l’angoisse et l’inquiétude de leurs vies incertaines. Cadré l’invisible, voilà la marque des grands auteurs, et c’est exactement ce que nous donne à voir Civeyrac, tout en nous gratifiant d’une rencontre purificatrice avec ces jeunes provinciaux.
On reprocherai au film sa dramaturgie, in fine très codifiée, et sa manière (parfois absurde) de vouloir renouer avec les géants d’un cinéma passé en se complaisant dans nombre de références et citations. Peut-être cristallise t-il ainsi les mentalités de ces étudiants, nostalgiques d’un cinéma qu’ils n’ont pas vécus, et ressentant un profond malaise avec leur époque. En tout cas, une chose semble certaine, ce film laisse échapper nombre de spectres que l’on aime reconnaître. Et ça, c’est très puissant.
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