« J’ai pensé qu’on était allé trop loin. C’est pour moi le premier Bond dans l’espace ! Des voitures invisibles et des CGI douteuses ? Bien sûr ! Ils ont donné au public ce qu’ils voulaient, mais peut-être qu’ils ont réalisé qu’il n’y avait plus loin à pousser avant que Bond ne devienne sa propre caricature et que les entrepreneurs de pompes funèbres soient appelés… »


Ces quelques mots de Pierce Brosnan suffisent à résumer son sentiment à propos de Meurs un autre jour, 20ème film de la franchise James Bond et dernier opus à mettre en vedette l’acteur irlandais. Frustré de n’avoir pu faire de Bond un personnage plus rugueux, profond et ambivalent, comme l’avait voulu Timothy Dalton avant lui, l’acteur gardera longtemps le regret de n’avoir pas pu incarner le Bond qu’il souhaitait. Partagé entre le glamour et le cynisme tranquille du Bond à la Roger Moore et l’ambivalence de celui incarné par Timothy Dalton, le James Bond de Brosnan n’en suivait pas moins un développement logique. Ainsi, outre son changement de visage, le héros de GoldenEye semblait être encore celui de Permis de tuer. Après avoir vengé son ami Felix Leiter dans le film de 1989, James Bond se voyait rattrapé par les fantômes de l’ex-URSS et devait affronter son égal en la personne de l’ex-agent 006. Réduisant à néant les plans d’un bon vieux mégalomane, Elliot Carver, qui lui avait enlevé son ancien amour, Paris (Demain ne meurt jamais), Bond se voyait ensuite dupé par ses préjugés sur la gente féminine et victime d’un couple d’amants machiavéliques, poussant leur amour et leur folie jusqu’au sacrifice ultime (Le Monde ne suffit pas). La trajectoire du Bond de Brosnan, que l’on pourrait voir comme cohérente, n’a finalement que peu à envier à celle du Bond incarné après lui par Daniel Craig. À ceci près que… arriva un jour… Meurs un autre jour


Et comme Brosnan l’a expliqué à plusieurs reprises, ce vingtième opus "anniversaire", sorti quarante ans après James Bond 007 contre Dr No, est loin de répondre à ce qu’il aurait souhaité pour un dernier film dans la peau du personnage. Pourtant, Meurs un autre jour débute plutôt bien, par une course-poursuite explosive en Corée du Nord. Une séquence valant presqu’un bon climax et qui s’avérera être une des meilleures du film. Le générique d’ouverture, rythmée par la chanson électro-kitschouille de Madonna (on est loin de la classe du GoldenEye de Tina Turner) fait donc l’ellipse sur les quatorze mois d’incarcération de l’agent 007 en Corée du Nord où il subit interrogatoire et torture, livré aux mains… d’une séduisante tortionnaire. L’ironie et la symbolique sont bienvenues et tout se passe plutôt bien jusqu’à ce que Bond soit récupéré par le MI6 en échange de Zao, l’âme damnée du jeune colonel coréen Tan-Sun que Bond semble avoir tué dans la course-poursuite d’intro. Pas fâché de quitter les geôles nord-coréennes, Bond se voit hélas détenu et accusé par les américains (à tort bien sûr) d’avoir donné un de leurs agents durant sa captivité. Déterminé à prouver son innocence et à découvrir l’identité du traître, Bond s’échappe du MI6. C’est là qu’on apprend que Bond est un super-héros ayant la capacité de réduire son rythme cardiaque jusqu’à l’arrêter, afin de limiter le vieillissement de ses organes (nous avons enfin l’explication sur son étonnante longévité !), tout ceci lourdement expliqué par des toubibs se penchant sur son cas au détour d’un scanner. Après un petit saut dans un hôtel de luxe à Hong-Kong, où il se douche, se rase et change de chemise, Bond part à Cuba sur les traces de Zao, lequel profite de son petit séjour au soleil pour se faire refaire la gueule au diamant dans la clinique d’un savant fou incarné par le vilain de Beyond Re-Animator. Très vite, la traque de Zao met Bond sur la piste de Gustav Graves, un diamantaire britannique au passé trouble, sorte de Tom Cruise addict aux "exploits" m’as-tu-vu, et qui nourrit un sombre projet de vengeance.


Plutôt bien trouvé, le début du film ose donc mettre Bond en position de faiblesse. Pas très longtemps néanmoins, les quatorze mois de captivité de Bond étant résumés en trois minutes pour nous révéler un Pierce Brosnan au look très proche de son Robinson Crusoé de 1994. Un interrogatoire, une coupe de cheveux, un rasage, une douche plus tard, et le voilà à devoir se justifier une fois encore devant M, laquelle, toujours aussi pète-sec, semble avoir déjà oublié, la vieille ingrate, qu’il l’a sauvée dans l’opus précédent. Si le séjour à Cuba peut encore s’apprécier pour le passage de la clinique, c’est dès l’arrivée de Bond en Islande que le film tout entier se casse la gueule et multiplie les fautes de goûts. Déterminés à fêter les quarante ans de la franchise de la façon la moins subtile qu’il soit, et incapables d’appréhender les enjeux esthétiques du cinéma-spectacle de ce nouveau siècle (Matrix et Mission Impossible 2 venaient de passer par là, Fast and Furious faisait déjà n’importe quoi et La Mémoire dans la peau s’imposait alors comme un sérieux concurrent), les producteurs imposent à leurs scénaristes un cahier des charges bien spécifique, Neal Purvis et Robert Wade devant trouver un enjeu en résonnance avec l’actualité (la menace nord-coréenne, les trafics de diamants de sang, les attentats du 11 septembre, eux, seront à peine évoqués le temps d’une réplique…) et, surtout, multiplier les allusions aux plus célèbres films de la franchise, toutes périodes confondues. Cela va de Halle Berry sortant des eaux telle une naïade façon Ursula Andress dans Dr No au laser de dissection de Goldfinger, en passant par nombre de clins d’œil aux dix-neuf films précédents (la chaussure à couteau de Bons baisers de Russie, le jet pack d’Opération Tonnerre, le formidable costume de croco d’Octopussy…). Pompant plusieurs éléments de son intrigue à des idées du roman Moonraker (inutilisées dans le film éponyme) ainsi qu’au film Les Diamants sont éternels (méchant qui passe pour mort, trafic de diamants, satellite équipé d’un laser destructeur…), le film de Lee Tamahori (réalisateur préféré au très bon Stephen Hopkins…) dépasse clairement les bornes dans sa profusion de gadgets futuristes (l’inoubliable Aston Martin V12 Vanquish invisible…), ses tics de mise en scène (les ralentis type bullet time qui, ici, ne servent absolument à rien), de séquences surréalistes (Bond faisant du kitesurf sur un océan en CGI, le moteur de l’hélico activé alors qu’il pique en chute libre…) et douteuses (Bond et Jinx faisant l’amour au milieu de milliers de diamants de sang…). Le summum du ridicule étant atteint lorsque le méchant se montre à la fin, engoncé dans une armure électrifiée digne des Chevaliers du zodiaque (perso, je ne peux m’empêcher de me remémorer la chanson de Bernard Minet quand je revois la scène). Toby Stephens a beau être un bon acteur et avoir de qui tenir (excellent dans la série Black Sails, Stephens est le fils de la vénérable Maggie Smith), lui-même déclarera plus tard trouver son "méchant" lamentable en revoyant le film. Seule la séquence du combat au sabre dans le club sauvera les meubles. Quant aux James Bond girls, Halle Berry se révèle par moments involontairement drôle (voir la gueule qu’elle tire aux commandes de l’hélico qui menace de se crasher) quand Rosamund Pike, elle, hérite d’un rôle de garce indigne de son talent.


Sorti à l’été 2002, Meurs un autre jour explose le box-office mais se récolte très vite un retour de bâton critique significatif, le film étant jugé par ses producteurs et sa star principale comme too much et trop fantaisiste. Avec le recul, Meurs un autre jours est aussi ridicule que Moonraker, à ceci près que ce dernier bénéficiait de la présence de Requin et de quelques belles scènes à Venise. Ce vingtième opus trahit surtout le désarroi d’un studio (MGM) et de producteurs (EON Productions) ne sachant plus comment penser et renouveler leur franchise à l’aube du 21ème siècle, face à de nouveaux enjeux, le spectre du 11 septembre, et une concurrence cinématographique rude (les Matrix, les Mission Impossible, les Jason Bourne, les premiers Marvel movies et bientôt le retour de Batman…). En coulisses, la bataille fait rage pour racheter les droits d’adaptation du roman fondateur, Casino Royale. De son côté, Brosnan est même approché par Quentin Tarantino qui rêve de réaliser une adaptation de Casino Royale à sa sauce, qu’il s’agisse d’un opus officiel ou d’un opus dissident (comme l’avait été le Jamais plus jamais avec Sean Connery). Récupérant finalement les droits du seul roman de Fleming qu’ils n’aient pas encore adapté (le Casino Royale de 1967 n’était qu’une parodie concurrente produite par la Columbia), les producteurs d’EON se retrouvent alors face à un dilemme : donner à Brosnan l’occasion de quitter dignement le personnage avec un opus plus réussi ou rebooter carrément la franchise en castant un successeur plus jeune. Les négociations pour un cinquième opus échouent. Alors qu’il est aux Bahamas en 2004, en plein tournage de Coup d’éclat, Brosnan reçoit un coup de fil de Barbara Broccoli et de Michael G. Wilson qui le congédient, à leur façon. Jeté à la poubelle, comme le dira plus tard Pierce Brosnan. « Nous sommes juste saturés de trop de films d’action exagérés et sans intrigue, déclarera l’acteur en 2004. C’est ridicule. C’est tellement fou ! C’est une folie pure parce que (le roman) Casino Royale est le modèle du personnage de Bond. Vous en apprendrez plus sur James Bond dans ce livre que dans tous les autres. J’adorerais faire un cinquième Bond puis me retirer, mais si ce dernier doit être le dernier, alors qu’il en soit ainsi. Mon contrat est terminé. » Puis d’ajouter : « Le Bond que j’ai joué était pris dans une distorsion temporelle entre ce qui s’était passé avant et ce que Daniel Craig fait maintenant. J’ai toujours ressenti les contraintes de la narration, que cela n’avait pas assez de mordant… Ça a été très difficile pour moi d’en saisir le sens. La violence n’était jamais réelle, la force brute n’était pas palpable. C’était trop maîtrisé, sans correspondance dans la réalité, c’était en surface… C’était dans l’écriture. Les fantômes de Sean Connery et Roger Moore revenaient pour moi… » « Ça aurait été génial d’allumer et de fumer des cigarettes, par exemple. Ça aurait été génial que les morts aient été un peu plus réalistes et pas atténuées. Dans l’ensemble, ce film (Meurs un autre jour) est plutôt fade. Je me souviens d’avoir fait une scène de sexe avec Halle – je veux dire gambader dans le lit – et il y avait le réalisateur Lee Tamahori juste sous les draps avec nous. Mais la façon dont nous avons fini par le faire était presque comme au bon vieux temps à Hollywood : embrasser la fille, mais toujours avoir les pieds par terre. »… « Vous n’êtes pas autorisé à montrer un simple mamelon. C’est pathétique. Ce dont Bond a besoin, c’est d’une bonne séquence de mise à mort palpable et d’une bonne scène d’amour, et cela n’a pas besoin d’être graphique, vous pouvez utiliser votre imagination. »

Deux ans plus tard, Daniel Craig et Martin Campbell obtiendraient les coudées franches pour donner au personnage de Bond, le sérieux, la cruauté, le sensibilité et le réalisme que Brosnan a toujours souhaité conférer à son personnage. Mais si Casino Royale relança la saga James Bond comme GoldenEye avait su le faire dix ans plus tôt, l’ère Craig se termina presque de la même manière que l’ère Brosnan, par un des films les plus médiocres et mal-aimés de la franchise. Les débuts de règne ont beau être souvent époustouflants et porter leur lot de nouveautés, les fins de règne, elles, sont souvent plus capricieuses et décevantes.

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le 9 sept. 2023

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Buddy_Noone

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