Après le plébiscite occasionné par The Lobster, Yorgos Lanthimos revient avec Mise à mort du cerf sacré, de nouveau tourné et réalisé dans la langue de Shakespeare. Le réalisateur grec commence à se faire un petit nom dans la sphère des auteurs qui lorgnent vers un cinéma aride et froid, comme le très connu Haneke, bien qu’absurde dans sa capacité à y immiscer de l’humour noir. Et le dernier film du cinéaste, quoi qu’un peu plus linéaire que les autres, ne déroge pas à la règle avec ce film sur la famille, loin d’être familial, où une certaine vision de la justice divine et le sacrifice sur l’autel de la rédemption vont s’entrecroiser.


Mais cette fois, au lieu d’être abscons dans la mise en forme de son récit et de faire de l’absurdité une entité propre à la mise en place de la trame scénaristique, Lanthimos se fait plus simple dans le cheminement de son histoire et dans le sens inverse, se fera plus puissant dans l’aspect métaphorique et fantastique de ses thématiques divines ou politiques (l’assimilation de l’histoire à celle de la Grèce). Mise à mort du cerf sacré nous plonge, non sans fascination, entre comédie et noirceur, dans la vie d’un chirurgien qui va basculer à cause de sa relation d’amitié avec un jeune adolescent, Martin. Dans ses premières minutes, Lanthimos n’explicite pas les liens qui unissent les deux personnes, garde une certaine distance dans l’explication, engendrant un mystère onirique et intrigant, quoiqu’un peu inquiétant. La seule chose que l’on sait, c’est que ce chirurgien cache à sa famille sa relation amicale avec le jeune adolescent.


Mais petit à petit, alors que l’ambiance mortifère s’épaissit, que la mise en scène se fait toujours aussi claustrophobe chez le grec, penchant vers l’esthétisme cloisonné d’un Kubrick, ce dernier commence à décrire le cadre environnemental de la famille du chirurgien, description qui oscillera entre malaise de situation et rire apeuré devant la froideur de certains moments (rapport sexuel entre les deux époux ou l’annonce des premières règles de la cadette). En ce sens, Lanthimos est avant tout un excellent directeur d’acteur, qui à travers le cadre immobile de ses plans et ses dialogues aux abimes du burlesque, sait parfaitement mettre en scène ses personnages, sans jamais tomber dans la parodie de la foule douce, comme le prouve le très perturbant Barry Keoghan.


Puis Mise à mort du cerf sacré va désamorcer petit à petit le mystère pour faire de cette révélation l’enjeu du film : après avoir commis une erreur qui sera fatale à l’un de ses patients sur la table d’opération, le chirurgien essaye de prendre soin du fils du défunt. Mais l’ironie du sort ou le destin en décide autrement : œil pour œil, dent pour dent. Martin lui annonce que pour rendre justice à la mort de son père, le chirurgien doit tuer une personne de sa famille, sinon ils mourront tous. Et à partir de ce moment le film bascule dans le thriller psychologique imbibé d’une certaine dose de fantastique, surtout quand des membres de la famille commencent à avoir, sans que l’on connaisse les raisons, des symptômes de la mort annoncé par le jeune adolescent.


Mais qu’on ne s’y trompe pas, Lanthimos ne fait pas un film de genre : Mise à mort du cerf sacré vire à la tragédie horrifique avec son portrait aussi acide que drôle sur l’humain et sa prédominance à tout vouloir savoir et à tout contrôler, et s’amuser de façon grinçante de l’incarnation de ses mœurs sociales. Radical dans son exposition, Mise à mort du cerf sacré continue d’agrémenter la réputation naturaliste et froide du cinéma de Lanthimos avec ses scènes malaisantes et dérangeantes. L’une de ses principales qualités est de ne jamais dévier de son sujet : la puissance formelle est toujours au service de la puissance narrative, accentuant, sans esthétiser, le malaise prégnant qui entoure le délire filmique.


Lanthimos déroule sa narration de façon linéaire, menaçante, mais avec une force quasi impalpable, entre jeu de manipulation strident (la scène des spaghettis ou le léchage de mains), humour tout sauf joyeux, fissuration de l’enclos familial et incapacité de l’Homme face à une justice presque naturelle qui lui est supérieure, dont l’arrivée est aussi invisible pour les personnages que pour le spectateur. C’est intéressant de voir cet hôpital ultra technologique devenir un lieu viager n’offrant aucune possibilité d’amélioration à la condition humaine où les humains rampent comme des déchets ou tout comme c’est captivant de voir le désarroi humain qui détruit les fondations de cette famille pour finir dans une cave, lieu aussi prémonitoire que mortifère.


Alors que la résolution du film se dessine très rapidement, malgré le hasard qui s’abat, c’est l’avancement du récit cynique et non misérabiliste, sa réalisation oppressante et coup de poing, cette tension aveugle où les personnages se débattent dans le vide qui fait de Mise à mort du cerf sacré une œuvre particulièrement prenante et hypnotique.

Velvetman
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le 26 juin 2017

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Velvetman

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