Ce qui s'annonce comme un complément à L'Enquête sur Clearmstream ou au Loup de Wall Street est en fait le récit d'un montage visionnaire (quoique relativement suicidaire) de l'ego. Nous savons d'entrée de jeu qu'il y aura un procès en bout de course (avec John Lightow aka Trinité de Dexter dans le rôle du juge). Le personnage campé par Jessica Chastain absorbe tout et amène l'essentiel de la valeur – autour de lui, tout est relatif, superficiel, malgré les qualités d'exécution où le film et son sujet se rejoignent (sans se confondre, il n'est pas assez intrépide pour tenir la distance, il faudrait Fincher pour donner le change ou l'illusion). Qu'elle soit réfractaire et surtout avec tant de démonstrations face à la proposition du départ est surprenant sinon aberrant ; qu'elle se détermine malgré la pression (pour mener la campagne contre le lobbye des armes) l'est moins et la clé du mystère est déjà là.
Il y a un combat à mener, qui suscitera l'admiration bien sûr pour son principe, mais plus encore pour le génie qu'elle va déployer et montrer à la face du monde – elle va chercher un titre de noblesse bien plus éblouissant que la victoire dans une bataille morale, elle va planter son nom sur la liste des plus remarquables héritiers de Machiavel, qui de plus doivent leur réussite à eux-mêmes, à leur propre énergie, le reste (alliés y compris) suivant – et se trouvant gonflé par sa propre impétuosité, donc quoiqu'il arrive tout revient à son initiative. Et comme il faut être raccord avec le monde ; à l'intérieur du film comme dans son contexte de diffusion, la croisade de Sloane participe à la rendre sympathique et lui assure de bons points théoriques du point de vue Hollywoodien. Cet étrange attachement au contrôle des armes rattache « la championne du libre-marché » à un ethos liberal/progressive dès le lancement des hostilités.
Le blanchiment d'argent étant au centre, le film peut éclairer sur la politique, le judiciaire et le fondement des réputations ; le trafic d'influence en général (surtout en France où il sort pendant la campagne de 2017 avec la démence autour de Fillon) mais à gros traits, en délaissant (on ne peut même pas parler de frilosité, car la politique concrète devient un fond, un décors). Ce onzième film de John Madden (réalisateur de Shakespeare in Love et Indian Palace) rappelle The Social Network (et bien sûr la série House of Cards, sans le goût de l'épate cynique) voire un miroir de In the Air davantage qu'un héritier des Hommes du président. C'est un thriller empathique, rapide et efficace, mais flanqué de scènes clichés résonnant comme des recours paresseux.
Il est arraché à la banalité et à l'opportunisme par la vivacité de sa protagoniste, sa volubilité impériale et pourtant familière, sa fougue transcendant le simple arrivisme, son hyper-contrôle sans aigreur, sécheresse ou inhumanité trop manifeste. Un vent populiste et démago souffle dans la dernière ligne droite, avant ce retournement imprévisible où le diable avec ses moyens et son esprit montre sa part d'ange et de martyr. L'épilogue rappelle le prix de ce genre d'exploits, où en atteignant le paroxysme de son art un caractère se trouve démuni – en cela Miss Sloane est proche du film de vengeance et en général, de toutes ces créations montrant la solitude d'une âme qui n'a plus qu'a dévaler la pente après son chef-d’œuvre, ou le coup de foudre face au plus grand de ce que sa conscience pouvait saisir et convoiter (que ce soit Dieu ou un concurrent – Amadeus prenant ce sentiment terrible par l'angle le plus humiliant).
https://zogarok.wordpress.com/2017/03/18/miss-sloane/