Le plaisir éprouvé devant ce cinquième opus de la saga occasionne un questionnement légitime : comment expliquer qu’on puisse se satisfaire de l’inertie d’un tel cahier des charges lorsqu’on fustige les redites, au choix, dans les Marvel ou les Michael Bay ? Qu’est-ce qui fait qu’on accepte de jouer le jeu quand il nous irrite au plus haut point dans d’autres franchises ?
Tout n’est que répétition dans Mission Impossible : masques, gadgets, capitales aux quatre coins du globe, missions officielles et officieuses, séditions et agents doubles, casse irréalisable et retour à la lumière, rien ne dévie dans cette déviance programmée qui tente de nous faire croire à chaque épisode que cette fois, ça va mal, que cette fois, on ferme la boutique, que cette fois, vraiment, on va en baver.
Le secret est limpide : il suffit d’assumer. Au contraire de la saga James Bond, qui est suffisamment antédiluvienne pour chercher du sang neuf avec un certain bonheur depuis l’arrivée de Daniel Craig, Mission Impossible a pour pivot son producteur/acteur principal Tom Cruise, qui, rappelons-le, ne vieillit pas. Alors qu’il conjure la fuite du temps par le clonage et la résurrection dans la SF, cette série lui assure une fixité légendaire à l’image des masques dont il s’affuble. Tout est là : puisqu’on va jouer aux faux semblants, puisqu’on n’est pas là pour être attaqué sur le terrain de la crédibilité ou de la profondeur psychologique des personnages, amusons-nous.
Force est de constater que l’ensemble fonctionne bien. Les courses poursuites sont limpides, le casse en apnée plutôt réussi (et à nouveau sans musique, histoire de se mettre au diapason de la scène maitresse du premier opus) et les revirements scénaristiques à tiroir certes tirés par les cheveux, mais plaisants, même si là aussi assez convenus. Simon Pegg en sidekick chargé de la tonalité humoristique ne fait pas toujours mouche, et la belle Rebecca Ferguson joue des cuisses, des robes longues et des yeux sans ciller comme il se doit. Les autres font clairement de la figuration, de Ving Rhames en rescapé originel à Jeremy Renner qui doit tout de même l’avoir mauvaise de passer d’un spin-off de Jason Bourne à un rôle aussi insignifiant.
Christopher McQuarrie fait donc plutôt bien son job après le nerveux Jack Reacher, et parvient à donner à l’action ce dont elle a besoin pour fonctionner : de la visibilité. Gadgets, caméras de surveillance, jauges et compte à rebours, cages de verre et rétroviseurs s’enchainent avec efficacité.
Mais là où le film gagne un point, c’est dans cette séquence de l’opéra de Vienne. Citation assumée d’Hitchcock et de L’homme qui en savait trop, cette longue parenthèse concentre une saveur telle qu’elle va faire de l’ombre à la dynamique générale, notamment la fin qui n’est clairement pas à la hauteur de ce qui précède. Dans ce jeu de faux semblants, de multiples tireurs embusqués sur fond de Turandot, c’est surtout au grand lecteur d’Hitchcock qu’on pense De Palma, instigateur de la saga au cinéma. L’exploration de l’espace, la dilatation du temps et la multiplicité des points de vue renvoie à bien des séquences maitresse de son œuvre, de Carrie à Femme Fatale en passant par Snake Eyes, ces deux derniers opus souffrant par ailleurs du même déséquilibre d’une scène nodale écrasant la médiocrité de l’ensemble.
Il y a donc une bonne nouvelle : pour peu qu’on ne se prenne pas trop au sérieux, qu’on ne joue pas la redite dans la morale familiale (Marvel, m’entends-tu ?), on peut distiller du plaisir au spectateur. Il acceptera de jouer le jeu de la redite au profit des jeux infinis sur la partition visuelle de l’action pure et décomplexée.