On commence à bien connaitre l’univers de Baumbach, qui depuis Les Berkman se séparent, et surtout le succès de Frances Ha en 2013, promène avec constance son regard sur les adultes qui ne savent pas encore l’être. Cette comédie new-yorkaise, entre légèreté et air du temps, renvoie forcément à l’illustre ainé Woody Allen, et comme pour lui, mais de façon prématurée, on peut craindre les signes d’un certain ronronnement. C’est d’autant plus vrai que Mistress America explore les mêmes terres que le très récent While We’re Young, à savoir la confrontation de deux âges différents, ici une trentenaire excentrique (Greta Gerwig, parfaite dans un registre plus vivace que dans Frances Ha) et une étudiante de 18 ans qui s’apprête à devenir sa demi-sœur à l’occasion d’un remariage.
L’intrigue importe peu, et les personnages le revendiquent. La jeune apprentie écrivain voit dans sa nouvelle amie une muse, une créature de fiction dont elle s’empare immédiatement, et leur errance est l’occasion d’un portrait qui fait la part belle à l’oisiveté névrotique. On commence par ne rien comprendre à ce personnage contradictoire, saturé d’initiatives et de projets, multicarte et devisant sur la vie sans vraiment la connaitre. Le duo féminin fonctionne parfaitement et va entraîner à sa suite une sorte de communauté de fortune déboulant dans une riche demeure des environs de New York, en quête d’un financement pour le projet du moment.
C’est là que se concentre toute l’écriture de Baumbach qui évite ici l’essoufflement patent de son précédent essai. Il s’agit avant tout de restituer un souffle, une rapidité des échanges dont la dynamique formelle importe davantage que le contenu. Toujours à la lisière de l’absurde (qu’on pense à ce personnage de femme enceinte attendant son mari, et intervenant sans cesse et mal à propos), le comique est une mécanique parfaite huilée qui doit beaucoup à l’écriture dramaturgique. Le cinéaste investit l’espace et dissémine sa petite troupe avec une précision d’horloger, dynamite tout temps mort dans cette valse où chaque personnage parvient à exister en dépit d’un temps de parole fragmenté. On pense aux portes qui claquent dans le dernier Bogdanovich, Broadway Therapy, voire à la folle énergie de La Règle du Jeu. Baumbach réussit là où Rappeneau s’enlisait malgré lui dans Belles-Familles : ce n’est pas tant la légèreté que la dérision qui l’emporte, et la vivacité de ces personnages insolite provient surtout de leur décalage avec les enjeux traditionnels de la comédie. Ce qui l’emporte, c’est ce débit vocal (lui aussi emprunté aux meilleures performances de Woody Allen) où les piques fusent, ridiculisant autant les interlocuteurs que la névrosée qui les envoie. On n’est certes pas au niveau du screwball d’un Lubitsch, mais justement parce que dans cette ambiance mi hipster, mi post-moderne, les personnages ont pris conscience de leur manque de sérieux. Dans ce joyeux massacre, c’est l’élan qui prime, et le cinéaste parvient sans difficulté à entrainer le spectateur dans cette valse pétillante.