Critique (de jeunesse) de Mon Nom est personne

Originellement paru dans le fanzine Sale et Obscur en 2006 (thématique "l'Oeil")


Il est de ces films qui, à force d’être sans cesse diffusés en périodes de fêtes sur les chaînes hertziennes, finissent par voir leur aura entachée par leurs médiocres voisins de grille de programme. 14h00 : Sauvez Willy 15h30 Arabesque 16h30 : Mon Nom est Personne 18h30 : Walker Texas Ranger. Et puis un jour on se décide à jeter un œil sur ce film qui certes réalisé par un inconnu (Tonino Valerii), interprété par un débile léger (Terence Hill) et une star en fin de carrière (Henri Fonda) reste tout de même produit par l’immense Sergio Leone….et alors stupéfaction : On se fend d’une petite larme…

Vu notre thématique de l’œil on pourrait pondre une petite élégie sur le regard bleu profond de Fonda mais tout ça resterait un peu vain quand toute la profondeur du film repose sur celui de Personne le personnage interprété par Hill.

Mais récapitulons d’abord brièvement l’argument du film : Jack Beauregard (Henri Fonda) est une légende de l’Ouest vieillissante voulant s’aménager une petite retraite peinarde en Europe. Avant cela, il lui reste quelques affaires à régler concernant la mort de son frère plus ou moins lié à un propriétaire d’une mine d’or qui semble chargé de blanchir l’or d’une bande de hors-la-loi. Sur sa route il ne cesse de croiser un jeune pistolero se faisant appeler Personne qui ne cesse de lui rappeler le moindre de ses faits de gloire.Tout ceci est bien flou me direz vous…je n’y suis pour rien, le film accumulent les éléments constitutifs du genre western sans toujours se soucier de les justifier narrativement. Mon Nom est Personne ne repose pas sur une histoire cohérente mais sur la relation entre Jack Beauregard et Personne. Le premier correspond à la représentation classique du héros : raideur, économie de geste et de parole, c’est un homme extrêmement puissant mais il n’a pas besoin d’en faire la démonstration. Il est incarné par Henri Fonda qui ballade avec lui un passé cinématographique marqué notamment par ses multiples collaborations avec John Ford. Nul ascendant prestigieux pour Terence Hill qu’on connaît surtout grâce à la série des Trinita, des westerns spaghetti ultra parodiques dans lesquels il est apparu avec son comparse Bud Spencer. Si l’on excepte qu’il est pour une fois hilarant, Hill voit son type de jeu au diapason de celui de ses précédentes prestations : grimaces, gesticulations diverses, logorrhées verbales. On a donc à faire à deux acteurs très différents qui incarnent deux traditions cinématographiques opposées.Et c’était bien là l’idée de Leone quand il mit en chantier la production de ce film :« Le jour où je vis le premier Trinita, je me suis mis à douter de ma santé mentale.[…] J’entendais le public hurler de rire. Je ne comprenais pas pourquoi il rigolait. […] En fait Trinita était l’aboutissement logique de centaines de westerns insupportables de crétinerie. Mais j’étais très inquiet. On m’avait désigné comme le père du genre! Je n’avais eu que des enfants tarés.»Il s’agit donc, pour le réalisateur du premier western spaghetti Pour une poignée de Dollars, (Per un Pugno di Dollari, 1964) de remettre les pendules à l’heure en se réappropriant le personnage de Trinita symbole de la décadence du western à l’italienne et en l’opposant à Henri Fonda représentant du western classique. On aurait pu alors s’attendre à du mépris pour le personnage de Trinita or il n’en est rien et il aurait été malvenu que ce soit le cas. En effet Sergio Leone est l’un des premiers cinéastes ayant joué avec les codes d’un genre ouvrant la voie à l’ironie post-moderne dont les Trinita furent en leur temps les plus tristement glorieux représentants. Les codes des genres mis a nu, on pouvait désormais s’en amuser avec la complicité d’un spectateur devenu moins naïf. Certes les Trinita ne travaille pas le genre comme le feront les vrais cinéastes post-modernes au rang duquel on trouvera plus tard Tarantino ou les frères Coen mais ils partagent avec eux une approche strictement ludique du cinéma alors que le cinéma classique tente de faire oublier la mise en scène et donc de créer l’illusion de la réalité. Les mécanismes du cinéma ayant été révélés, la mort n’y a plus d’importance, la violence y est strictement ludique et le sang qu’une simple touche de rouge sur un tableau inoffensif. On est dans le pur spectacle. Les affrontements dans lesquels Personne est impliqué sont marqué par des sophistications meurtrières qui, sans le burlesque décalé de la mise en scène, paraîtraient bien cruelles. Ce n’est d’ailleurs pas innocent qu’une des principales séquences mettant en scène Personne se déroule dans diverses attractions d’une fête foraine et en particulier une galerie des glaces. Les personnages y sont réduits à des reflets déformés et leur mort à des bris de glace. Bienvenue dans le royaume de l’image !

Personne est d’ailleurs lui aussi un reflet déformé de Jack Beauregard, un enfant attifé en cow-boy :« Enfant je jouais à être Jack Beauregard » dira t’il et il complètera « depuis j’ai décidé de jouer à des jeux moins dangereux… ». En effet l’ère du héros classique est terminée, il est désormais vieux et fatigué ; l’époque où il a accompli ses exploits est révolue que ce soit dans l’Histoire du Cinéma (on est à l’ère des westerns crépusculaires de Sam Peckinpah, dans les années 70 la mode est aux personnages principaux hors-la-loi) ou dans celle du film (Jack Beauregard veut prendre sa retraite). Tonino Valerii, Sergio Leone et les scénaristes Ernesto Gastaldi et Fulvio Morsella décident de mettre en scène la résurrection progressive du Héros par l’intermédiaire du regard admiratif de Personne qui se fait alors metteur en scène de son idole. Le personnage de Personne est ainsi le parfait représentant de chaque membre de l’équipe à l’origine du film : un cinéphile, amateur acharné de westerns, dont l’enfance et l’adolescence ont été bercés par les récits légendaires des héros de l’Ouest. C’est pourquoi l’idée que Jack Beauregard puisse quitter l’Ouest pour une retraite paisible en Europe est insupportable à Personne, comme aux cinéastes: ils doivent lui ménager une fin spectaculaire en accord avec sa vie héroïque. Dans la superbe scène du billard, Personne conceptualise d’ailleurs le récit auquel il a envie d’assister. Il y représente grâce à des boules de billard chaque protagoniste du film : Jack venge son frère en tuant le propriétaire de la mine puis se fait poursuivre par la Horde Sauvage qu’il finit par affronter.

Mais, comme on l’a dit, la naïveté est morte et enterrée et avec elle gisent les héros du passé…si jamais ceux-ci ont existés ailleurs que dans le regard ébloui de leurs admirateurs. En effet Jack Beauregard ne pense qu’à sa retraite et renonce à venger la mort de son frère en échange d’une somme d’argent sous le regard déçu de Personne. C’est alors que Beauregard lui dira : « Pourquoi est ce que tu penses que parce qu’un gars n’est plus de ta génération, il doit vivre d’expressions toutes faites comme : « La voie du sang crie Vengeance » ?».

On se demande alors si Jack Beauregard était réellement irréprochable ou si c’est le regard de Personne et, par extension, des spectateurs et des metteurs en scène de Western qui ont façonné cet image héroïque. Le film ne répondra pas à cette interrogation mais semble alors prendre acte de ce mensonge tout en décidant néanmoins de prolonger l’illusion suivant le précepte édicté par l’un des personnages de L’Homme qui tua Liberty Valance (The Man who shot Liberty Valance, John Ford, 1959) :« Si la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende ! ». Le mythe et la démystification cohabitent sur un pied d’égalité dans le final de Mon Nom est Personne… et c’est ce qui le rend si passionnant.

Car au moment même où l’on croit Beauregard, devenu riche, en partance pour sa retraite, il croise, dans une configuration improbable (en plein milieu du désert le long d’une voie ferrée où s’arrête un train conduit par…Personne), « les 150 fils de putes déchaînés » de la Horde Sauvage. Comme si la loi du genre était plus forte que les petites lâchetés de Beauregard, l’affrontement aura donc bien lieu à la façon d’un cadeau aux spectateurs dont Personne qui assiste à la scène avec la même jubilation que nous. En rupture avec la mise en scène classique du reste du métrage, la scène est entre-découpée d’arrêts sur image et de photogravures de livre d’histoire, contaminée par la multitude de représentations dont ce genre d’évènements a fait l’objet. Il sera également question de représentation dans la scène de duel final entre Personne et Beauregard où un troisième invité fait son apparition. Personne qui cette fois à un rôle primordial délègue en effet la fonction de regardant qu’il a eu pendant tout le film à un photographe. Seulement cette fois ci le duel est truqué Beauregard simulant sa défaite face à Personne afin que sa mort soit cohérente avec la vie qu’il a mené aux yeux du public (On notera au passage que, pour appuyer la métaphore, les dimensions du cadre de la photo sont les mêmes que celles du Cinémascope qui fût, dès son apparition, le format de prédilection des westerns).

L’émotion que l’on ressent face aux scènes d’affrontement que l’on a évoqué dit bien toute la force du genre, force qui demeure même quand les mensonges la fondant sont mis à jour.

Créée

le 15 déc. 2023

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docteurmoreau

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